Chapitre 6 - corrigé

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- Ce n'est pas un siècle si sombre que cela. Ils ont un réel intérêt pour l'hygiène ; les rues sont en pavés, grandes et espacées pour laisser l'air circuler. Des égouts ont été mis en place, des pompes à incendie reliées à la Seine par Louis XVI. Vous savez, je pense qu'ils ont coupé la tête du mauvais roi.

Je remis la couverture duveteuse sur mes pieds, eux-même repliés sous mes fesses. A la lumière d'une bougie aux arômes épicées, je racontais dans les moindres détails ma matinée à Monsieur Rossi. Ma langue se déliait dans un flot de parole sans fin. Mais chaque fois que je parlais, je le faisais à mi-voix. La boutique éteinte, le vent soufflant dehors, c'était l'heure des confidences.

- Oh et il y avait tant de boutiques qui vendaient des justaucorps, des chemises, des gilets, des culottes, et tout autre type de linge. Bien sur tout est d'un blanc immaculé, ainsi ils montrent leur richesse par l'absence de tâches. Les populations plus modestes achètent en friperie, là où sont vendus les vêtements passés de mode des nobles. J'ai vu une dame coudre elle-même un nœud papillon pour moderniser sa robe.

Alors que je le couvais d'un regard bienveillant, les yeux de Monsieur Rossi papillonnèrent. En regardant l'heure, je m'aperçus qu'il était dix heures passées. Il avait travaillé toute la journée et ainsi devait être éreinté.

- Ne t'arrête pas, s'il te plait, quémanda-t-il.

- Ils ont moins peur de l'eau lorsqu'elle est bouillie comme avec le thé, le café et tout autre produit des colonies. En même temps, ils jettent leurs déchets dans la Seine et lavent leur linge dedans...

Je m'arrêtai le temps de réfléchir à ce que j'avais pu oublier, un doigt entortillant une mèche de mes cheveux.

- Les boucles te vont bien, me complimenta-t-il. Qu'as-tu fait une fois de retour ?

- J'ai passé des petits tests afin de vérifier mon souffle, ma tension et mon rythme cardiaque. On m'a fait une prise de sang, énumérai-je sur mes doigts. Et j'ai dû écrire un compte rendu sur mes observations de la société.

Chaque fois que je finissais une phrase, une autre me venait en tête. Mais je cessai de piailler lorsque la tête de Monsieur Rossi roula de sa paume. Je me levai sans faire de bruit afin d'allonger ce vieil homme sur son sofa. Je fis glisser un oreiller sous sa joue en maintenant délicatement sa nuque, puis remontai la couverture sur ses épaules. Sa respiration était régulière et forte. Je soufflai sur la bougie et quittai la pièce comme une voleuse.

En passant devant la photographie en noir et blanc, mes yeux m'obligèrent à l'observer encore une fois. Monsieur Rossi, plus jeune et heureux -sans ce regard empli de nostalgie qu'il révélait dès qu'il pensait être seul- tenait par la main une femme. Ses cheveux coupés aux épaules flottaient au vent comme sa robe fleurie. Ils se dévoraient des yeux. Amoureux. La certitude que rien ne pourrait les séparer. Quelques moments de bonheur pour une éternité de souffrance.

***

Natalia réussit à négocier avec Celine Guenguy et Edgar Madson afin de m'emmener au bal. Les scientifiques avaient approuvé l'idée sans trop de résignation. L'attention ne serait pas concentrée sur ma personne ; je pourrai converser, danser et examiner tout en me fondant dans la foule. La seule condition était de me faire passer une autre fois avant le jeudi. C'est ainsi que mon deuxième passage précéda donc rapidement mon premier. Nous passâmes une journée identique, flânant dans les rues et conversant avec les quelques personnes que nous croisions.

Les entrainements étaient devenus de plus en plus intensifs et mes vacances scolaires étaient digne d'un entrainement militaire. Entre la bienséance à table et le jargon soutenu, je n'avais droit à aucune accalmie. Mes pieds flottaient sur le parquet et enchainaient les pas de danse du menuet, de la contredanse et du tambourin. Ma bouche récitait des formules de politesse tout en différenciant chaque titre. Et mon sourire était tellement figé qu'il en devenait crispé.

A l'égard du TempsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant