Chapitre 2 - corrigé

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J'avançai rapidement dans les ruelles de Paris, mon cabas en tissu glissant le long de mon blazer. La pluie rendait le sol difficilement praticable, chaque pas éclaboussant mon pantalon. Depuis toute petite, je trouvais le temps automnal poétique et apaisant. Les feuilles qui virevoltent, le ballet des parapluies dans les rues et les orages faisant entendre leur voix. Ceci était mon élément.

Je rangeai mon parapluie dans le bac à l'entrée du café. Aucune crainte qu'on me le vole car qui voudrait d'un parapluie vert pomme ? Je l'avais acheté un jour d'averse. Il ne restait plus que celui là, comme si le magasin avait vu se ruer des dizaines de parisiens qui avaient voulu affronter la pluie avant de comprendre leur erreur. Je parcourus la salle des yeux afin de repérer les cheveux poivre-sel de monsieur Madson. Il était assis près d'une vitre d'où les gouttes s'écoulaient une à une. Je le saluai pour annoncer ma présence et m'installai face à lui.

- Bonjour Mademoiselle DeGrave, je suis heureux de vous voir.

L'historien dégageait une plus grande prestance que dans mon souvenir. Cela était sûrement dû à la boule de stress logée dans mon bas-ventre ; ou peut-être à son pull en cachemire qui épaississait son buste.

-Commandez ce que vous souhaitez, je vous invite bien sûr, enchaina-t-il sans se départir de son air jovial.

Je demandai un thé à la menthe à la serveuse à peine fut-elle à ma hauteur. Mes mains, rougies par le froid mordant, me brulaient désormais.

-Pourquoi ne pas être venue à l'exposition ? Vous aviez pourtant une dispense de cours grâce à l'invitation donnée.

-J'avais beaucoup de travail malheureusement, que ce soit pour l'université ou pour mon emploi.

-Vous travaillez ? S'étonna-t-il.

-Il s'agit plutôt de services rendus pour un vieil ami qu'un véritable emploi, à vrai dire. Mais cela ne pose pas de problème pour mes stages, précisai-je tout de suite.

Une lueur d'amusement traversa les yeux du chercheur avant de laisser place à une mine sérieuse.

-Je vous ai contacté par rapport au tableau.

Ma mère disait souvent que mes émotions se lisaient aussi facilement qu'un livre ouvert. L'incompréhension devait donc dominer mon regard car il ajouta immédiatement.

-Ne froncez pas les sourcils Elia. Me permettez-vous de vous appeler ainsi ?

J'hochai la tête en signe d'assentiment.

-Ce que je souhaite vous expliquer est un peu compliqué, alors je vous prie de ne pas m'interrompre, sourit-il ses yeux noirs plantés dans les miens.

- Je vous écoute.

-Très bien, commençons par un petit cours d'anatomie. Le corps humain est composé d'ADN qui est propre à chaque personne. Si on schématise, certains ADN sont plus... malléables que d'autres et peuvent supporter de grandes transformations. Connaissez-vous la célèbre théorie de Descartes?

- Oui bien sur. Descartes pensait que le système solaire était composé de tourbillons. Il expliquait ainsi la rotation des planètes et la pesanteur sur Terre, répondis-je tout en cherchant le lien plausible avec le portrait de la femme.

-Les tourbillons retenez bien cela ! Maintenant ajoutez Einstein. Il émet une théorie des plus intéressantes en pensant que la Terre prend une majeure partie de l'espace, et donc le déforme.

Il se mura dans le silence tandis que ma consommation arrivait. Je pris la boisson chaude entre mes mains et en humai la délicieuse odeur pour apaiser mes nerfs.

-On entre dans la partie la plus complexe. Einstein a émis l'hypothèse que l'espace est lié au temps. Si l'espace est déformé, le temps est déformé. De façon grotesque, si on avoisine la vitesse de la lumière, on peut voyager dans le temps, expliqua l'historien tout doucement comme s'il parlait à un enfant de cinq ans.

-Je dois vous avouer que je ne vous suis pas tellement, confiai-je à l'homme face à moi.

-Ce n'est pas un sujet facile à aborder de but en blanc, tenta-t-il de rigoler. Mais, en somme nous avons déjà envoyé des personnes dans une époque antérieure par le biais de ces tourbillons. Il s'agit de plusieurs années de recherches avec notre laboratoire et nos collaborateurs tous diplômés des plus hautes instances.

-Pardon ?

Cette exclamation était sortie de ma bouche toute seule. J'étais fortement agacée et contrariée de la tournure de cet entretien. Monsieur Madson ne répliqua pas à mon attaque et continua.

-Ceci est bel et bien réel Elia. Nous avons commencé par envoyer de petits animaux. Mais le début du succès vient surtout avec Jacob, un perroquet transporté à une époque et lieu antérieur. Nous lui avions appris une phrase très précise. En recherchant pendant des mois dans des centaines de registres, de biographies, d'annales, nous avons retrouvé la trace de cette phrase et ainsi de Jacob. Nous refîmes la même expérience durant plusieurs années, afin d'atteindre la perfection.

Il déglutit la gorge sèche.

- Il y a trois ans, nous avons essayé d'envoyer une de nos historiennes mais ce fut un échec. Le docteur Guenguy, chercheuse de Harvard en microbiologie informatique et cellulaire, a émis l'hypothèse que tous les êtres vivants ne pouvaient donc pas voyager à travers cette déformation de l'espace. Céline est la meilleure dans son domaine, elle a trouvé la séquence d'ADN permettant la symbiose avec le tourbillon. Vous imaginez ? On parle d'une échelle si minuscule que même au microscope elle n'est pas visible. Très peu d'hommes naissent avec cette particularité génotypique, mais nous pensons que vous l'avez.

A bout de souffle, il se tut et plaqua de sa main une mèche de cheveux en arrière. Je le fixai de mes yeux noisettes transformés en deux fentes, une moue dubitative sur les lèvres. La radio diffusait une musique de Queen tandis que les conversations bruyantes m'empêchaient de me concentrer. Rien ne m'amusait dans ses paroles. La sensation d'avoir perdu mon temps mais surtout d'humiliation était trop lourde.

-Je vais devoir y aller, merci pour le thé, formulai-je du bout des lèvres.

-Vous êtes en état de choc, ce que je comprends tout à fait ! S'empressa-t-il de dire en se levant à son tour. Je n'attends pas de réponses immédiates de votre part, ne vous pressez pas mais réfléchissez à notre conversation... s'il vous plaît.

-Au revoir monsieur Madson.

-Vous avez mes coordonnées au cas où...

Je n'entendis pas la fin de sa phrase, mettant le plus de distance entre nous. Je m'engageai dans la rue et empruntai le chemin de la boutique, mes écouteurs enfoncés dans les oreilles ne jouant aucune mélodie. Une grosse déception pesait sur mon coeur. Voyager dans le temps était un rêve que personne ne pouvait réaliser. Lorsque je sentis une goutte mouillée le bout de mon nez, je repensai à mon parapluie oublié dans le café.

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