Chapitre 1

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Je m'installais à mon endroit habituel, sur le boulevard du centre ville, pour gratouiller ma guitare. Je posais l'étui sur le rebord du trottoir, ouvert, au cas où les gens voudraient y jeter quelques pièces. C'est là que commençait ma routine. Ma voix et le son de ma guitare sèche traversaient l'atmosphère polluée de ce milieu urbain, et les notes s'envolaient dans les airs. J'avais l'habitude d'alterner mes chansons avec d'autres plus connues. J'aurais préféré n'utiliser que le fruit de mon inspiration, mais le public de la rue répondait plus à de la musique qu'il connaissait. Tous les soirs, depuis quelques mois, je venais m'exprimer sur le bord de ce boulevard. Mon esprit se libérait, mes pensées flottaient à travers mes paroles, et mon monde semblait légèrement plus agréable. Jusque-là, tous les soirs s'étaient ressemblés.

Cependant, un soir d'été, quelque chose de surprenant se produisit.

J'attaquais mon cinquième morceau environ. Les premières notes traversaient mes lèvres, et étaient prêtes à faire vibrer la foule, quand un autre son vint rejoindre le mien. Un son qui s'accordait sur ma tonalité. Un son de chanteur.

Et puis, à travers la modeste foule qui s'était réunie autour de moi, je vis un garçon d'une petite vingtaine d'années se faufiler. Je le remarquais d'abord par sa taille, qui dépassait largement la mienne. Sous son bonnet en coton gris, il avait dissimulé ce qui semblait être une épaisse couche de cheveux bruns et bouclés. Il marchait dans ma direction, sa guitare traversant son torse, mais n'arrêtait en aucun cas de produire de la musique. Quand il me parvint, ses yeux vert se plongèrent dans les miens, et il embraya sur le refrain de la chanson avec moi. Le son de nos deux guitares formait une parfaite harmonie, et nos deux voix se complétaient. Il me laissait prendre les couplets, et m'aidait pour les refrains. Quand les notes les plus aigues allaient chatouiller le haut de mon palet, lui plongeait au fond de ses cordes vocales pour me compléter. Sa présence ajoutait quelque chose de singulier à ma performance. Pour la première fois depuis longtemps, j'avais la forte impression d'être libre : c'était comme si ma musique avait trouvé sa place.

"See the flames inside my eyes,

Burns so bright I want to feel your love, oooh

Easy baby maybe i'm a liar

But for tonight I wanna fall in love

So put your faith in my-y stomach"

La chanson avançait, et mon coeur allait exploser. Une vague de bien être avait déferlé dans mes intérieurs.

Je ne pouvais cependant empêcher mon esprit de fuser. Mille questions trottaient dans ma tête. Qu'est ce qu'il faisait là ? Pourquoi est-ce qu'il venait jouer avec moi ? Mon coeur ne voulait pas que le moment se termine. Je serais restée emmitouflée dans la perfection de cet instant pour toujours, s'il en avait été de mon ressort.

Évidemment, il en fut différemment.

Je terminais les dernières paroles:

"For how long long i've loved my lover"

J'entrouvrais mes lèvres pour inspirer un grand bol d'air.

Ses yeux se liaient aux miens de nouveau. Bien que les respirations arrivaient à mes poumons, j'avais le sentiment de suffoquer. Mon coeur, déjà gros, s'était resserré d'avantage. Le visage de cet inconnu avait quelque chose de spécial. Son menton se dessinait sous sa barbe de trois jours, et, au milieu de ses deux joues se creusaient de petits fossés. Il portait une veste en jean sur un petit pull sombre, et avait dans ses poches deux petits rectangles, qui auraient pu être un téléphone, un paquet de cigarettes ou un porte feuille. Sa guitare était accolée à son ventre, mais de ce que je pouvais voir, son corps était couvert de muscles. Au bout de ses doigts abimés se trouvaient des ongles au frontières ondulées, presque noircies: ils n'avaient pas l'air sales- on aurait seulement dit qu'il avait besoin de ses mains.

ManoushOù les histoires vivent. Découvrez maintenant