Chapitre 17

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Je ne me trompais pas. Mon frère était bien mort. Je l'avais vu de mes propres yeux.

J'étais à l'enterrement. J'étais là le jour où la police était venue sceller le cercueil, l'arrachant à jamais de moi. J'étais là le jour où mes parents pleuraient toutes les larmes de leurs corps dans l'église qui honorait celui qui avait pris mon frère. J'étais là quand tout le monde vint me dire "Je suis désolé" ou, "toutes mes condoléances". J'étais là quand il a fallu rentrer à la maison et faire face à la réalité; mon frère n'était pas rentré ce soir là, et il ne rentrerait jamais. J'étais là, quand il a fallu apprendre à vivre les joies, les peines et tout le reste sans lui. Je n'avais pas travaillé sur mon chagrin pendant tout ce temps pour m'entendre dire qu'il était vivant. S'il y avait eu la moindre chance qu'il le soit - j'aurais été la première à m'en réjouir. Mais c'était tout simplement impossible.

Des questions trottait dans ma tête: qu'est ce qu'avait voulu dire l'infirmière? Et pourquoi est ce que les autres n'étaient pas là ?

Elle ne m'avait pas parlé des garçons; mais je pense qu'ils n'étaient pas venus pour une raison évidente: mes parents. Et puis, des mecs du Sud dans un hôpital du Nord, ça aurait fait tâche dans le décor.

Des voix provenaient du couloir. Je tentais d'écouter ce qui se disait, mais les différents sons de l'hôpital m'en empêchaient. D'abord, les brancardiers faisaient rouler leurs outils de travail sur le sol. Puis, on entendait "Patient en chambre 287, code bleu !". L'atmosphère n'avait rien de calme. Ma chambre n'avait rien d'exceptionnel. Une porte en bois plaqué me séparait du couloir. Dans l'embrasure de cette dernière, j'apercevais différentes personnes qui passaient. Juste avant la sortie se trouvait une petite salle de bain qui m'était réservée, mais dont je n'avais pas vraiment l'utilité. Un petit plateau à roulette soutenait mon occasionnel plateau repas - qui soit dit en passant était aussi goûtu qu'une feuille de papier - et une caraffe d'eau accompagnée d'un verre, située ici dans la situation où j'aurais soif.

Cependant, la situation présentait quelques éléments inhabituels. On m'avait tiré dessus mardi; et le petit calendrier que quelqu'un avait pris soin de déposer sur la petite table à mon chevet indiquait que nous étions dimanche. On m'avait d'ailleurs expliqué que la balle avait pénétré un muscle, sans toucher d'os; ce qui avait rendu l'opération moins difficile et douloureuse. Fort de tout ça, je devais me trouver dans un endroit de soins de l'hôpital, non ? Et avec tous les moyens que l'établissement avait, il était impossible que je me trouve assez près des urgences pour que j'entende les brancardiers.

Rien n'était cohérent.

Et puis, j'entendis des bruits de pas.

Quelques minutes plus tard, Alex entrait dans ma chambre. Ma vision était un peu floue encore, mais on m'avait expliqué que c'était la faute liquide oculaire, appliqué pour éviter le dessèchement des paupières pendant l'opération. Toujours est-il que j'arrivais à peine à discerner sa sillouhette avant qu'il ne s'approche de moi.

J'étais si heureuse de le voir que ma première intention fut de lui sauter dans les bras. Mon esprit ne comprenait aucunement sa venue, mais mon coeur m'envahissait de joie, ne laissant pas de place à la réflexion. Sa présence était auparavant essentielle à mon bien être. J'avais partagé un nombre incalculable de choses en sa compagnie, et comme il était de deux ans mon ainé, il avait de nombreux conseils à me donner. Il avait aussi toujours été ce grand frère protecteur envers moi.

Je me souvenais d'une après midi de notre enfance, dans la maison de vacances de mes grands parents, qui se situait au bord de l'océan, à quelques heures de la ville. J'étais amoureuse de cette énorme étendue d'eau qui semblait s'étendre à l'infini. Je n'en connaissais pourtant pas les dangers; je devais avoir 7, ou 8 ans. En conséquence de la chaleur paralysante qui était survenue, je m'amusais dans l'eau. Et puis, une idée me parvint: "Et si j'allais dans les vagues ?". L'idée était enfantine, mais l'océan est un milieu hostile quand on ne le connait pas. Sans vraiment réfléchir, je donnais un dernier regard aux rouleaux qui s'échouaient sur le sable jaune, et fonçais tête baissée dans l'une d'elles. Les premières mousses vinrent me chatouiller les chevilles. Puis, les genoux, la taille, la poitrine, les épaules, et avant que je ne m'en rende compte, je n'avais plus pied et, prise par la panique, ne voyais pas de moyen de m'en sortir.

ManoushOù les histoires vivent. Découvrez maintenant