Nous sommes jeunes

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« Messieurs, bravo. Vous venez d'intégrer L'Ecole des Pages de La Grande Ecurie du Palais Royal de Versailles. Ici, vous allez apprendre les usages de la cour, le devoir du page et du chevalier, l'éducation générale, le maniement de l'épée, et l'art de l'équitation. Vous apprendrez la rigueur, le travail sérieux et le dévouement au Roi de France. Vous serez formé aux valeurs de la chevalerie, à la protection de notre souverain. Vous êtes l'élite de ce Royaume, vous transportez avec vous l'image du Roi, souvenez-vous en. Ici, en contrepartie des services rendus, vous serez nourris, logés, habillés. Les cours auront lieu de 9h à 12h. Puis de 14h à 17h. Vous serez ensuite libres de vaquer à vos occupations, le plus conseillé étant de travailler de manière assidue sur ce que vos maîtres de classe vous auront appris, en tant que pages de la Grande Ecurie, cela fera partie de vos tâches les plus importantes. Aussi il vous est demandé de prendre la sécurité de notre Roi très à cœur et d'être prêt à donner, sans aucune hésitation, votre vie au prix de la sienne. 
Si vous fautez, vous serez réprimandé de manière juste et sévère. J'y veillerai. Je suis votre unique supérieur hiérarchique ici, et je ne vous conseille pas de me manquer de respect. N'oubliez pas que vous faites la fierté de vos familles en arrivant ici, en donnant vos services dévoués au bien-être de notre Souverain. Sur-ce, le premier cours de la matinée va commencer, vous pourrez ensuite découvrir vos quartiers. »

Monsieur Le Grand, Premier Ecuyer de France, venait de terminer son discours de bienvenue au nouveau groupe de pages du roi. Le groupe, composé d'une vingtaine de petits nobles, tous âgés d'une quinzaine d'années, suivit respectueusement leur supérieur dans l'enceinte même de la Grand Ecurie. Il était 8h45 et beaucoup d'entre eux arrivaient d'un long voyage éreintant.

Guillaume de Sainte-Hermine, un jeune garçon souvent admiré pour la pâleur de sa peau, ses cheveux déjà blancs attachés en queue de cheval et ses yeux bleus profonds jetait un coup d'œil à sa montre à gousset, regrettant de ne pas avoir fait de sieste dans la voiture, comme lui avait préconisé sa mère. Ça n'était pas entièrement sa faute, il se faisait une telle joie d'intégrer l'Ecole des pages, dont il avait tant rêvé, qu'il avait été trop excité pour dormir.

Il observait discrètement son voisin de droite, un garçon à la peau beaucoup plus mate, mais dont la profondeur des traits et la noirceur toute particulière de ses cheveux lui rendaient toute sa beauté.

Les pages de la Grande Ecurie étaient jugés sur plusieurs critères : ils devaient descendre d'au moins deux-cent ans de noblesse directe, posséder une somme de six-cents livres destinée aux petites dépenses et être beau et bien mis. Guillaume de Sainte-Hermine remplissait les critères haut la main. Sa famille étant assez connue, il n'avait eu aucun doute quant à sa sélection pour intégrer l'Ecole. Promis depuis ses six ans à Eléonore de Sainte-Hermine, sa cousine, avec laquelle il avait passé la majorité de son enfance, Guillaume comptait profiter de ces quelques années à Versailles pour s'amuser avec des garçons de son âge, loin des devoirs familiaux, ce qui ne lui était encore jamais arrivé. Son oncle, le Comte Almaviva vivait également à Versailles, et avait promis à ses parents de veiller à ce qu'il ne lui arrive rien en partant si loin de chez lui pour la première fois. En bref, Guillaume explosait intérieurement de joie, et ne comptait pas attendre longtemps avant d'établir des contacts avec les autres adolescents.

Après avoir monté trois étages, les étudiants entrèrent dans une vaste salle de classe comportant un grand tableau noir, un large pupitre sur une estrade, et plusieurs petits pupitres en bois, munis d'encriers et de plumes, devant lesquels s'assirent les pages.

« Bonjour, je m'appelle Monsieur Sully, et je serai votre maître de Mathématiques. »

Guillaume avait toujours été doué en apprentissage, mais surtout en mathématiques. Il suivait déjà des cours chez lui, en Normandie, avec un maître que ses parents avaient engagés pour lui faire la classe. Ils souhaitaient que leur enfant soit instruit et prêt pour l'Ecole.

« Vous trouverez dans les cases attachées aux pupitres des cahiers dans lesquels vous pourrez prendre des notes. Je vous recommande fortement de le faire, pour ne pas risquer de vous perdre. »

Guillaume sortit un cahier, prêt à travailler. Le maître marqua un problème au tableau qu'il fallait résoudre par des multiplications assez complexes. Guillaume avait beaucoup travaillé sur le sujet, et il résolu immédiatement le problème. Il fut soudain découragé, réalisant l'avance qu'il devait avoir sur les autres écoliers et sur le fait qu'il s'ennuierait probablement beaucoup pendant ce cours. Il commença à regarder autour de lui les adolescents appliqués, la tête penchée sur leur devoir dans une volonté de grande concentration. Son camarade de droite, celui qu'il avait repéré sur le trajet de la salle de classe gardait la tête dans ses mains, semblant relire le plus possible l'intitulé.

-C'est 1974 !

-Pardon ?

-La réponse, c'est 1974, lui souffla Guillaume le plus discrètement possible.

-Ah ! Oui, merci !

Le cours passa tant bien que mal ; malgré la déconvenue de Guillaume quant au niveau global attendu par le maître. La matinée s'enchaîna tranquillement. Ils eurent un premier cours d'Histoire sur l'Antiquité, sujet que Guillaume maîtrisait déjà bien également. Il reprit même le maître une ou deux fois, sous les regards ébahis des autres pages. Puis ce fut l'heure du déjeuner.

-Vous avez l'air de connaître beaucoup de choses, lui dit gentiment le garçon aux cheveux noirs.

-Oui, ma famille m'a fait beaucoup étudier déjà, si bien que je crains de m'ennuyer ici. Quel est votre nom ?

-Je suis Etienne d'Hérecques, fils du seigneur Antoine d'Hérecques d'Aquitaine. Et vous ?

-Guillaume de Sainte-Hermine.

Le garçon brun l'observa, circonspect, il avait sans doute l'habitude de plus courtoisie, surtout lors des présentations, mais Guillaume s'en foutait. Il était fatigué des politesses et voulait juste se faire des amis. De toute façon, sa famille était connue partout dans la noblesse française, il n'avait pas besoin d'étaler ses titres.

-Merci, monsieur de Sainte-Hermine, de m'avoir aidé tout à l'heure.

-Sauf votre respect, j'apprécierais que vous m'appeliez Guillaume.

-Seulement si vous acceptez de m'appeler Etienne.

Ils se sourirent tous les deux, et commencèrent à manger.

La suite de la journée se passa tranquillement, puis ce fut l'heure de répartir les différents groupes pour les chambres. Les pages étant très nombreux, il n'y avait pas assez de pièces et les étudiants devaient se partager une chambre à deux ou trois. Vu leur taille, personne ne se plaint. Ils firent donc des groupes. Etienne étant le seul garçon auquel Guillaume avait parlé, ils se mirent ensemble, espérant bien s'entendre.

La chambre était très grande et spacieuse. Située au quatrième étage du bâtiment, de grandes fenêtres donnaient sur la cour. Etienne et Guillaume se jetèrent sur leur lit, tous deux épuisés par le grand voyage qu'ils venaient de faire, doublé de cette longue journée de cours. Sans crier gare, ils s'endormirent tous les deux. 

Envol - L'Ecole des Pages |Tome 2 |Où les histoires vivent. Découvrez maintenant