La force d'Eléonore lui permit de garder l'espoir que l'amour qu'avait un jour éprouvé Guillaume pour elle finirait par revenir avec force. C'est avec ce même espoir qu'elle s'acharna avec lui, lors de leur nuit de noces, dans le lit conjugal, pour qu'il concentre son attention sur elle ; alors qu'il regardait ailleurs, dans le vide, ou qu'il fermait les yeux pour ne pas la voir, pour penser à autre chose. Et elle essayait d'imaginer ce à quoi il pensait. Elle imaginait les mains puissantes qui l'attrapaient par la taille, les lèvres charnues dans son cou, l'odeur virile qui l'avait détourné d'elle. Elle imaginait sa voix, la couleur de ses yeux, de ses cheveux. Elle s'était fait une représentation de cet homme dont elle ne savait rien et qui lui déchirait le cœur. Il était devenu omniprésent dans son esprit, et il la regardait avec un sourire chaleureux. Il ne lui en voulait pas, il n'était que bonté et amour. Et Eléonore, petit à petit, se surprit à le détester.
Une semaine après leur mariage, Guillaume partit, sans qu'elle ne sache où, pendant une semaine, voir l'inconnu qu'il aimait tant. Elle qui n'avait jamais spécialement tenu à être mère désirait maintenant un enfant plus que tout au monde, dans l'espoir de reconquérir Guillaume, de l'arracher à l'homme inconnu qui le lui avait volé.
Elle sortit dans le jardin pour se changer les idées, admirant les différentes plantes, toutes bien taillées et entretenues, reniflant le parfum des fleurs. Elle s'assit sur un banc en rêvassant sur sa nuit de noces. Elle avait rêvé pendant des années de sa première fois, du moment où elle ne serait plus vierge, réalisant soudain que l'instant était passé, que Guillaume lui avait pris sa virginité, et qu'elle n'en avait pas profité, trop occupée à essayer de le reconquérir. Elle se mit à pleurer bruyamment, laissant enfin échapper la douleur qui la détruisait jour après jour depuis le retour de Guillaume. Il ne reviendrait peut-être jamais vers elle. Elle devait envisager une autre solution. Son regard se posa sur un magnifique laurier rose, tout en fleurs. Puis elle se leva d'un bond, chassant les idées noires qui ternissaient son esprit, et regagna le château.
Quelques mois plus tard, Eléonore se leva en pleine nuit et vomit douloureusement dans son pot de chambre. On fit venir un médecin le lendemain. Eléonore n'était pas en état de se lever, mais les habitants du château étaient venus la voir dans sa chambre, inquiets. Elle chercha Guillaume des yeux, sans le trouver. Le médecin l'ausculta et déclara en souriant :
-Vous êtes enceinte, il faut prévenir votre époux.
-Ou est Guillaume, s'alarma sa mère, faites-le venir !
Guillaume arriva en trombes et s'assit au bord du lit en prenant la main d'Eléonore. Il lui sembla que c'était la première fois qu'il la regardait. Puis elle sourit.
-Je suis enceinte, Guillaume.
-Oh... C'est merveilleux.
Il la regarda gentiment en lui caressant la tête, l'embrassa sur le front, puis sortit.
Eléonore réalisa soudain que ses espoirs étaient vains, que même l'enfant ne le détacherait jamais de celui qu'il aimait vraiment. Elle sombra dans une dépression profonde, et ne bougea presque plus de son lit pendant les mois qui suivirent. Guillaume ne lui rendait jamais visite, et elle ne savait même pas s'il restait au château. Sa mère était toujours là, presque du matin au soir, veillant sur elle et la bordant avec douceur :
-Ou est Guillaume ? lui demandait Eléonore.
-Il est partit à Versailles pour régler des affaires. Il travaille beaucoup. Vous avez beaucoup de chance.
Et Eléonore regardait dans le vide, devenant amorphe, se laissant mourir. Elle se laissait happer par les ténèbres, réclamant toujours qu'on ferme les volets, parce que la lumière lui faisait mal. Elle ne mangeait presque plus, inquiétant ses proches pour l'enfant à venir. Elle se sentit tomber en enfer, en chute libre, n'attendant que la mort, souffrant des contractions douloureuses de sa grossesse. La douleur grandissait de jour en jour, devenant insupportable. L'enfant semblait se débattre dans son ventre, comme s'il pouvait sentir toute sa souffrance, et toute la haine qu'elle accumulait à petit feu. Eléonore se sentait haïe, rejetée de tous, et ne voulait que mourir.
Mourir en couche.
Sortir la chose de son corps et mourir en paix.
Se vider de son sang.
Mourir.
Sans douleur.
En paix.
C'était ce qu'elle voulait.
L'enfant finit par naître dans une souffrance abominable. Guillaume était là, à côté du lit, assistant à la scène sans rien dire. L'accouchement s'était bien passé, la mère et l'enfant étaient vivant. La famille se réjouissait. Le bébé passa dans les bras de chacun, avant d'atterrir dans ceux de Guillaume. Eléonore vit, sans vraiment y croire, le visage de son mari s'éclairer enfin.
Le bébé avait les yeux d'Etienne. Ces grands yeux dorés d'une innocence infinie, c'étaient les yeux d'Etienne. Il avait quelques cheveux immaculés sur le crâne, la peau très pale. C'était une petite fille. Les larmes roulaient des yeux de Guillaume sans qu'il puisse les arrêter. Il ne savait pas comment ce miracle avait été possible. L'enfant ne ressemblait en rien à sa mère, il était la parfaite symbiose d'Etienne et Guillaume.
Il tendit à contre cœur la petite fille à Eléonore. Et Eléonore fit le même constat avec amertume. La petite ne lui ressemblait pas. Elle ressemblait à quelqu'un d'autre. Pourtant, en voyant ses grands yeux, Eléonore sourit, soudain prise d'une rage de vivre incontrôlable. Elle avait à nouveau un but, une raison d'être. Elle avait compris comment mettre à terme à sa tragédie.
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Envol - L'Ecole des Pages |Tome 2 |
Hayran KurguMa loyauté envers toi, mon amour, elle sera sans limite. Par-delà la mort, je tiendrai mes promesses. Et à travers tous les mondes, dans les innombrables univers que nous pourrions traverser, mon amour pour toi restera indéféctible. Je serai toujou...