-Je ne pourrai plus partir et laisser notre enfant ici, sans la voir grandir, sans pouvoir la protéger, murmurait Etienne alors qu'ils se baladaient tous les trois dans la forêt derrière le château.
-Alors ne pars plus mon amour, restons ici pour toujours, tous les trois.
-Tu oublies Eléonore.
-Non. Eléonore est libre, elle a fait son choix de rester, de ne pas chercher l'amour ailleurs et de se morfondre dans son malheur. Je ne l'ai jamais forcée à rien, et elle le sait très bien.
-C'est peut-être pour ça qu'elle t'aime. Et c'est peut-être parce qu'elle t'aime qu'elle ne veut pas être libre.
-Je suis désolé pour elle, je ne ferai pas semblant d'être animé par des sentiments qui ne me troublent pas.
-Parle moins fort, Bérénice est endormie.
Ils regardèrent l'enfant avec tendresse, abandonnée dans les bras rassurants d'Etienne, puis se sourirent tous les deux. Ils se baladèrent alors en silence dans la forêt, respirant l'air frais, écoutant les bruits des animaux, savourant la présence de l'autre, se remémorant tout le chemin parcouru. Ils regardaient le ciel, simplement heureux d'être réunis, simplement heureux de s'aimer, réalisant doucement qu'ils n'avaient besoin de rien d'autre.
Eléonore, dans le jardin, de l'autre côté du château, coupa avec délicatesse deux branches du laurier rose, composa soigneusement un bouquet avec les autres plantes encore fleuries du jardin, et rentra dans le château. Elle tenait une composition florale resplendissante entre les mains, plus réussie encore que ce qu'elle aurait pu imaginer. Elle déposa les fleurs dans un vase, devant une fenêtre de la cuisine, et alla s'asseoir à sa cheminée, un livre à la main, attendant le soir dans un état de béatitude qu'elle avait souhaité pendant très longtemps.
Le soir commença a tomber et Etienne et Guillaume regagnèrent le château. Ils donnèrent l'enfant désormais affamé et en pleurs à la nouvelle nourrice avant d'entrer dans la chambre de Guillaume. Il s'agissait d'une grande chambre avec un lit au milieu de la pièce et une immense fenêtre donnant sur le jardin. Quelques meubles disposés çà et là la décoraient sobrement.
Guillaume plaqua Etienne contre la porte avec passion, soudain fou de désir pour son compagnon. Il croisait ses doigts dans les siens, écoutait ses légers gémissements à cause de son bassin qu'il frottait contre lui, respirait son odeur, totalement enivré par sa présence.
-Tu m'as tellement manqué, lui souffla Etienne en le poussant sur le lit.
-Toi aussi, tu m'as manqué.
Guillaume entoura ses jambes autour d'Etienne et le fit tomber sur lui. Ils rirent tous les deux en se caressant l'un l'autre, augmentant chacun leur désir.
Ils firent l'amour comme ça n'avait jamais été le cas. Ils avaient joui indéfiniment, entièrement abandonnés au plaisir charnel, profitant pleinement du corps de l'autre, se caressant et s'embrassant avec une passion inédite, éternelle, avant de s'allonger, épuisés par l'amour qu'ils s'étaient donné, somnolant tous les deux dans les bras l'un de l'autre.
Ce fût enfin l'heure du dîner. Ils descendirent main dans la main, se regardant dans les yeux avec une étincelle nouvelle, plus intense encore, ne se souciant plus du regard des autres.
Ils mangèrent côte à côte, Eléonore de l'autre côté de la table, seule. Ils plaisantaient, se souvenaient de leurs aventures d'adolescents, se racontaient leur vie après l'Ecole des Pages, sans jamais cesser de rire. Leur bonne humeur contamina Eléonore qui participa activement à la conversation, comme s'ils avaient toujours été ensemble. Et ils riaient tous les trois, laissant leurs différents, leurs haines de côté. Avec Guillaume, ils racontaient à Etienne comment avait été leur enfance, se rappelant les sermons que prenait Eléonore parce qu'elle voulait jouer avec lui, et comment Guillaume l'avait toujours défendue. Et Eléonore souriait enfin, happée par un plaisir, une joie réelle. Elle retrouvait finalement celui qu'elle avait toujours aimé, celui qu'elle avait attendue. Elle avait dû faire preuve d'une patience à toutes épreuves mais il était enfin là, resplendissant, regardant amoureusement celui qu'il aimait, lui faisant accepter enfin qu'elle ne serait jamais l'objet de cet amour.
Elle alla dans la cuisine pour rapporter le thé, hésitant soudain à exécuter son plan. Peut-être qu'ils pouvaient trouver un arrangement, une solution. Eléonore s'assit et réfléchit longuement à une façon de vivre heureux, tous ensemble dans ce foyer, et finit par se rendre à l'évidence. Ils n'auraient probablement jamais la possibilité de vivre comme cela. Etienne était marié et Guillaume redeviendrait sec, froid et distant en son absence, tandis qu'Eléonore serait encore jalouse et souffrante. La petite pleurerait de plus belle. Et Etienne ne voudrait plus la quitter. Ce moment joyeux ensemble n'était qu'un îlot de bonheur dans une immensité de souffrance. Il était tant de mettre fin à la tragédie. Elle n'avait plus le choix, elle avait une mission.
Elle prépara du thé dans trois tasses, y mélangea des feuilles de menthe et un peu de sucre, avant d'ajouter une grande quantité de feuilles de laurier rose, découpées en petits morceaux. Elle fit infuser le tout un moment, avant de l'apporter sur la table.
Les trois compères burent leur thé, toujours heureux, évoquant gaiement les grands souvenirs de leur vie, riant de leurs mauvaises expériences, réalisant que, dans le fond, rien n'avait jamais été vraiment grave. Eléonore insista pour donner le lait à Bérénice, avant de la rendre à ses véritables parents et d'aller se coucher.
Guillaume déposa sa fille endormie dans un lit petit berceau à côté de son lit, puis sortit de son armoire un bocal de chocolats.
-Je l'ai fait venir de Versailles spécialement pour l'occasion, dit-il fièrement.
Ils s'assirent tous les deux sur le lit. Et savourèrent une dernière fois les chocolats, les laissant fondre dans leur bouche, profitant de la douce sensation du sucre amer sur leur langue. Ils s'allongèrent ensuite tous les deux, se sentant soudain très fatigués, voire exténués.
-Je n'en étais pas sûr pendant le dîner, mais maintenant, je n'ai plus de doute, dit doucement Etienne en caressant la main de son partenaire.
-De quoi parles-tu ?
-Eléonore, elle nous a empoisonné.
-Quoi ?
-C'était du laurier rose en plus de la menthe. La plante contient un poison mortel. Nous allons mourir ce soir.
-Pourquoi n'as-tu rien dit ?
-Qu'est-ce que ça aurait changé ? Réfléchis-y, elle n'a pas tort. Nous ne connaîtrons plus jamais de si beau moment. Pourquoi continuer à vivre malheureux, si tout peut s'arrêter maintenant, dans la paix et la joie ?
Guillaume accusait le coup silencieusement. Il regardait leur fille, dont les respirations ralentissait, plongée dans un sommeil paisible. La fin était si proche. En y réfléchissant, il avait vécu cette journée comme si c'était la dernière, il n'avait plus aucun regret. Il était prêt à mourir depuis qu'il avait enlacé Etienne et Bérénice. Toute cette journée n'avait été que du surplus avant l'inévitable. La peur qu'il ressentait à l'idée de la mort fut remplacé par un sentiment de paix intense et il s'allongea à côté de son compagnon, à côté de l'amour de sa vie. Il ne pouvait pas rêver mieux. Il sourit alors doucement, en fixant le vide au-dessus de lui.
Eléonore, qui avait ingéré la plus grande quantité de fleurs, fût la première à mourir, son cœur s'arrêtant tout simplement de battre dans son sommeil. Bérénice la suivit, car la faible quantité qu'elle avait bu par le lait de sa mère fut létale pour son corps de nourrisson.
Etienne et Guillaume attendirent plus longtemps. Ils se regardaient l'un l'autre, sans rien dire, allongés, en souriant, imaginant leur avenir éternel, ensemble, juste tous les deux, baignés dans une lumière divine, dans une paix sans retour. Puis leur sourire mourut sur leur visage.
...Ma loyauté envers toi, mon amour, elle sera sans limite. Par-delà la mort, je tiendrai mes promesses. Et à travers tous les mondes, dans les innombrables univers que nous pourrions traverser, mon amour pour toi restera indéfectible...
Je serai toujours près de toi.
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Envol - L'Ecole des Pages |Tome 2 |
ФанфикMa loyauté envers toi, mon amour, elle sera sans limite. Par-delà la mort, je tiendrai mes promesses. Et à travers tous les mondes, dans les innombrables univers que nous pourrions traverser, mon amour pour toi restera indéféctible. Je serai toujou...