I. Son Bonheur

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Des voix au loin, c'était tout ce que j'arrivais à entendre. Je ne voyais rien, mes cinq sens étaient brouillés, mais une douleur vive, une douleur comme jamais j'en avais ressenti me consumait de la tête aux pieds. D'un côté, je n'avais pas perdu tous mes sens, je pouvais encore ressentir des choses.

Et m'en souvenir surtout. 

Tout me revint comme un flash avec les moments passés avec Jonathan, la grande découverte sur le départ de sa mère et mon pacte avec Leiw, le frère défunt de Xio Yi responsable de la plupart de nos malheurs. 

J'avais espéré oublier moi aussi. Oublier la douleur, oublier Jonathan, oublier ma vie, mais ce n'était pas le marché que j'avais conclu. Je devrai vivre avec l'image de Jonathan rire, s'amuser, embrasser une autre fille. Oui, je devrai vivre avec ce sentiment pour me rappeler pourquoi j'avais fait tout ça. 

C'était ma punition. 

Une punition pour avoir été trop bête, parce que toutes ces années la réponse était sous mes yeux. L'absence de mon père, le départ de la mère de Jonathan, le manque d'interactions entre nos deux familles. Quelque chose s'était brisé et moi je n'avais rien vu. C'était pareil pour Sydney, je m'étais faite avoir en beauté. Elle qui m'avait entendu dire que j'avais aimé Jonathan à une époque... elle avait dû tellement me détester. 

Jamais je n'oublierai la tête qu'elle avait fait ce jour-là, quand j'avais dû récupérer le collier. Elle n'avait jamais pleuré autant. 

Jamais. 

Les voix que j'avais entendues ne s'étaient pas dissipées, j'avais essayé de les ignorer, mais rien à faire, elles devenaient de plus en plus forte. C'était contre mon gré que j'ouvris petit à petit les yeux. Un mal de chien accompagnait ce mouvement si insignifiant comme s'ils étaient restés fermés pendant trois siècles. Avec un peu plus de volonté, je commençai à apercevoir une petite lumière blanche, infime, mais avec le temps elle devenait plus étincelante. 

Après la lumière, une voix parvint à mes oreilles. Je n'arrivais pas à la distinguer au début, je ne pus savoir si c'était la voix d'un homme ou d'une femme. Tout me semblait si flou, seuls mes yeux et mes oreilles étaient opérationnelles. Pour que le reste de mon corps répond, il m'avait fallu au moins dix bonnes minutes. 

Après ce temps qui me parut interminable, la voix s'affirmait de plus en plus et je pus reconnaître la voix d'une femme étouffée par des sanglots. Le premier mouvement que je fis était de tourner ma tête à gauche très légèrement et une douleur lancinante y était localisée. Mon corps avait repris ses fonctions, ou du moins juste assez pour savoir que j'étais toujours entière. Petit à petit,mes mains se mirent à bouger et les pleurs que j'avais entendus s'arrêtèrent d'un seul coup. 

— Ka...lie... tu... ends... moi...

C'était tout ce que j'arrivais à cerner, mais il ne m'en fallait pas plus pour deviner que c'était ma mère. Mes yeux étaient enfin complètement ouverts, même si je les refermais de temps à autre à cause de cette lumière qui n'était autre qu'une lampe torche ou quelque chose du genre qu'on utilisait dans un hôpital. 

Mais je n'y étais pas, je n'étais pas à l'hôpital. Non, je sentais du vent et la chaleur du soleil, je reprenais petit à petit contrôle de mon corps. Alors que les sanglots de ma mère s'étaient estompés, une autre voix qui m'était connue parvint à mes oreilles.

Mon père. 

— Est-ce qu'elle va bien ? 

Sa voix était usée, fatiguée, mélangée avec une inquiétude vive. Je ne pus m'empêcher de sourire. Il était là... Il était là ! Qu'est-ce que ça faisait longtemps que je ne l'avais pas vu, enfin façon de parler. Mais le plus important c'est qu'il était là en présence de ma mère. 

Est-ce que... ça avait vraiment marché ? 

Il n'y avait qu'une seule façon de le découvrir. 

En faisant appel à toutes mes forces restantes, je décidai de tendre la main à mes parents et comme je m'y attendais ils me la tinrent si fort mais le plus important c'était qu'ils étaient tous les deux à le faire et en même temps. Il ne fallait pas s'emballer Kalie... imagine que ton père est là juste à cause de ce qui s'est passé avec Jonathan. 

Cette simple pensée suffit à faire tout chambouler, mais aussi à provoquer une montée d'adrénaline chez moi. D'une traite, je me levai légèrement et je pus apercevoir les alentours, j'étais bel et bien dans une ambulance. 

Oh non...

Et si... et si ça n'avait pas marché ? 

L'ambulancier à côté de moi me fit signe de ne pas me relever si soudainement à cause des événements récents. Apparemment le choc était tellement fort que je m'étais évanouie

— Mademoiselle, nous allons vous emmener à l'hôpital pour d'autres examens.

 Alors j'avais raison, rien de tout cela n'avait marché ? 

J'avais oublié un détail crucial, j'étais dans mon corps. Cela voulait dire que Jonathan... Mon attention se reporta sur mes parents pendant un instant, ils tenaient toujours ma main de toutes leurs forces. J'espérais au moins qu'avec tout ça, j'allais retrouver une famille stable. Qu'est-ce que je racontais ? Mes parents allaient bel et bien divorcer et ma vie allait être un pur cauchemar. En réalité, cela m'était égal, le plus important c'était que lui aussi allait vivre dans un malheur inimaginable. 

Et tout ça à cause de moi, ma vie et ma famille. 

Après avoir retrouvé l'utilisation de mes cordes vocales, je décidai de poser la question fatidique : 

— Comment va-t-il ? demandai-je. 

J'avais du mal à croire que c'était ma voix, elle était tellement faible. Je ne me voyais pas dans le miroir, mais je pouvais parier que j'étais d'une pâleur affreuse. Ma bouche était tellement sèche et mes yeux me faisaient toujours mal. 

— Et bien, il aura également des séquelles, mais les vôtres seront plus sérieuses. Ne vous en faites pas, tout ira bien avec du repos. 

Une boule dans ma gorge s'était nouée en entendant ces paroles. Je tournai le regard vers ma mère que je pus voir plus nettement que tout à l'heure et des larmes tombaient sur mes joues sans le moindre contrôle. Mon père me caressa la main affectueusement et ma mère arrangea une mèche derrière mon oreille. J'aurais aimé savourer des moments familiaux comme celui-ci un peu plus souvent mais jamais ça ne sera le cas. 

Je voulais tellement toucher ce bonheur du bout des doigts ; le voir sourire, le voir en paix et surtout le voir heureux. Oui, le voir heureux me rendait heureuse, parce qu'il le méritait, parce qu'au fond de moi, j'avais toujours ressenti quelque chose qui me poussait vers lui, quelque chose qui me disait qu'au fond, il en valait la peine. Il m'avait rendu la vie impossible pendant des mois, des années et malgré ça, malgré tout cette peine que j'avais subi, son bonheur était maintenant ce qui m'importait le plus au monde. 

Et savoir qu'il ne l'aura jamais... ça faisait trop mal. 

Je m'accrochai à un rêve, un mythe. 

— Maman... je... tu diras à Jonathan que je m'excuse... s'il te plaît... et toi aussi... il... faut... tentai-je de dire étouffée par mes sanglots. 

— De quoi tu parles Kalie ? Jonathan, notre voisin ? 

Mon cœur se mit à battre tellement vite et mes yeux s'écarquillèrent tellement qu'ils allaient sortir de mes orbites. 

— Ma chérie, tu as eu un accident de voiture, c'est un certain Monsieur Bryce qui t'a percuté alors que tu étais partie courir. 







Rends-moi mon corps ! TOME 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant