Réveille-toi

-16-

[— Plus que cinq semaines, lui répondit-elle après un silence.]

Ces 35 jours passèrent plus vite que ce que Clarke avait cru. Elle se lança dans le travail et les préparations pour accélérer le temps du mieux qu'elle pouvait.

Envoyer Madi sur Terre 2 avait été une décision difficile, mais elle ne le regrettait pas. La jeune fille était en de bonnes mains. Entourée de Gaia et d'Indra. Protégée par Echo et le reste de Wonkru. Choyée par Murphy et Emori. Aimée par Bellamy. Et si Clarke savait bien une chose, c'était que rien d'autre ne valait l'amour de Bellamy.

Chaque soir, la jeune femme se faisait un point d'honneur à contacter son compagnon, pour l'informer de son avancée, lui raconter sa journée, prendre des nouvelles de la surface. Pour être honnête, leurs conversations ressemblaient beaucoup à celles que Clarke avait eues durant leurs six années de séparation... Sauf que maintenant, elle n'avait plus à imaginer ce qu'il aurait pu dire ou conseiller, Bellamy répondait présent et était là pour la réconforter et lui donner les réponses dont elle avait parfois besoin. Chacun de ses mots emplissait Clarke d'un bonheur sans nom. Un bonheur qui lui faisait presque peur, mais qui l'aidait à guérir lentement du sentiment d'abandon qui la hantait aux heures les plus sombres de la nuit.

Les moments torrides qu'ils passaient à faire l'amour au travers de la radio représentaient également un avantage non négligeable. Si on avait un jour raconté à Clarke qu'elle s'adonnerait à de telles pratiques, elle se serait sûrement étouffée de rire et d'embarras.

Lorsque le vaisseau de transports qui transportaient leurs 29 dernières recrues ainsi que Jackson, Raven, Shaw, Abby, Kane et elle-même se posa sur la surface et qu'elle abaissa le levier qui la mènerait chez elle, son cœur battait à tout rompre.

Elle observa les 34 personnes descendre du vaisseau.

Elle observa Shaw et Raven s'enlacer et échanger un long baiser avant de s'aventurer sur le chemin de leur campement.

Elle observa sa mère soutenir un Kane encore très affaibli par les nombreuses opérations qu'il avait dû subir avant et après son réveil de cryogénie.

Ce ne fût que lorsque toutes les personnes présentes quittèrent son champ de vision qu'elle aperçut que quelqu'un était encore présent et l'attendait, sourire aux lèvres.

— Hey, murmura Bellamy en marchant à sa rencontre.

— Hey, répondit-elle en s'arrêtant à quelques centimètres seulement de lui.

Sa soudaine nervosité devait certainement se lire sur son visage, car le jeune homme rit doucement avant de saisir sa main et de lier ses doigts aux siens et de dire :

— Rentrons à la maison.

Elle déglutit difficilement. Les mots qu'elle aurait voulu prononcer restèrent prisonniers de sa gorge serrée. Une boule d'émotions intenses l'étranglait et elle ignorait que faire de toute cette joie, tout cet espoir, tout cet amour. Elle ne put que hocher la tête avant de lui emboîter le pas.

Leur campement ne se trouvait qu'à quelques minutes de marche de l'endroit où le vaisseau avait atterrit. Raven et Shaw voulait garder la navette proche d'eux, non pas parce qu'ils craignaient de devoir évacuer cette planète en urgence - ce qui méritait d'être noté - mais juste parce qu'ils pourraient certainement s'en servir comme source d'énergie dans leurs futurs aménagements.

Les deux ingénieurs, aidés par plusieurs recrues d'Eligius et quelques membres de Wonkru, avaient déjà commencé à imaginer tous les miracles technologiques qu'ils allaient mettre en place. Aussi, entre deux réunions, Clarke avait entendu les mots "eau courante" et "électricité" et même "chauffage". Toutes ces choses n'étant clairement pas de son domaine, la jeune femme n'avait pas relevé, mais demeurait tout de même impatiente de voir Raven et son équipe se mettre à l'ouvrage afin de pouvoir observer la magie de plus près.

Un chemin avait été dessiné dans la forêt et sinuait entre les arbres et les buissons. De temps à autre, Clarke percevait le cri d'un animal, le chant d'un cours d'eau, le murmure du vent entre les branches et ses jambes la démangeaient de partir explorer cette planète, sa faune et sa flore.

Ses yeux réclamaient de contempler tous ces paysages inconnus. Ses mains frétillaient de pouvoir en dessiner chaque détail. Une fois qu'ils seraient installés dans une routine bienvenue, elle s'imaginait monter une petite équipe et partir en expédition. Elle avait en tête plusieurs projets qu'elle souhaitait mettre en œuvre et pouvait déjà visualiser les cartes qu'elle allait dessiner, les registres qu'elle allait compléter.

Clarke avait dépassé l'appréhension et était désormais pressée de commencer sa vie. Elle n'avait jamais pu vraiment le faire sur leur Terre d'origine, elle comptait bien se rattraper ici.

Lorsqu'ils arrivèrent au "campement", Clarke remplaça tout de suite ce mot de son vocabulaire par le mot "village". Un "campement", c'était ce qu'ils avaient connu lors de leur arrivée fracassante sur Terre. C'était des tissus précaires posés sur des bouts de bois taillés à la hâte. C'était de la tôle arrachée à leur navette et des pics plus hauts que des hommes pour créer un mur qui les protégerait des natifs. C'était une porte rouillée et fragile qu'ils pensaient assez imposante pour retenir une armée de sauvages.

Ici, pas de porte. Pas de mur. Certes, quelques toiles dressées ici et là, mais de vraies tentes imperméables et chaudes taguées du logo d'Eligius. Et éparpillées, de vraies petites maisonnettes, certaines encore en construction, d'autres terminées. Parfois, des chalets de bois chaleureux et cosy. Parfois, des cabanes cachées dans les branches. Et même, plus rares et toujours en chantier, quelques maisons troglodytes dissimulées dans la paroi rocheuse de la falaise qui les surplombait et d'où une cascade s'écoulait doucement dans un large bassin naturel. Le centre du village était traversé par un petit ruisseau et déjà, Clarke pouvait distinguer les fondations de ce qui s'apprêtait certainement à devenir un moulin.

La jeune femme ne savait déjà plus où poser son regard. Seule la paume brûlante et caleuse de Bellamy dans la sienne, fraîche et lisse, la maintenait encore dans cette incroyable réalité quand un petit corps léger et aérien vint s'écraser avec force contre le sien. Aussitôt, elle reconnut l'odeur de fleurs et de citron qui caractérisait Madi et referma ses bras autour d'elle dans une étreinte forte et emplie de sentiments. Les larmes affluèrent spontanément à ses paupières lorsqu'elle se rendit compte à quel point sa fille lui avait manqué et elle ferma les yeux pour les empêcher de couler. Elle entendit le rire de Bellamy à ses côtés et sentit la main qu'elle avait lâchée venir se poser dans le bas de son dos et y dessiner des motifs réconfortants.

Je suis là, affirmait-il silencieusement.

Tout cela est réel, promettait-il sans pourtant user de mots.

Lorsqu'elle eut enfin le courage d'ouvrir les yeux, elle croisa les iris bruns du jeune homme par-dessus l'épaule de Madi qui semblait refuser de la lâcher. Elle se plongea dans la profondeur de son regard chaud et bienveillant et resserra sa prise sur le corps de Madi, et enfin, elle en eut cette fois la certitude : elle était à la maison.