Chapitre 9 :

8 6 2
                                    

— Aymé !
La voix me sort de mes pensées.
Heureusement.
Je m'enfonçais.
Sans savoir si c'était
le ciel
qui m'écrasait ou
la terre
qui m'attirait.
Voyant qu'il a toute mon attention, le petit garçon qui se tient devant moi me pose sa question :
— Tu veux être quoi plus tard ?
Je l'observe, muette.
Vous vous doutez bien que j'ai arrêté d'y réfléchir depuis longtemps.
Tellement longtemps.
— Et toi ?
Ces simples deux mots semblent le ravir au plus haut point.
Deux mots.
Personne n'a jamais du lui demander ça.
Il resserre sa prise sur sa perfusion et un sourire remonte jusqu'à ses oreilles.
— Un danseur.
— Un super-héros.
— Non, tu peux pas.
Il reprend sa mine sérieuse.
Je ramène mes jambes sous mon menton. Je suis installée dans un grand fauteuil, sur un des côtés de la salle de chimio, une perfusion... colorée... dans le bras. Un produit coloré qui tient à distance le cancer, mais ne le détruit pas.
Une dizaine d'enfants sont réunis ici.
Je dois être la plus grande. Et en voyant le crâne lisse du petit garçon, son teint livide, ses doigts tremblants, je me dis que je le resterais toujours.
Je m'en veux de penser ça, sans tristesse aucune.
— Pourquoi ?
Je prend une mine faussement surprise.
— Parce-que. Ça n'existe pas.
Il a un air renfrogné.
— Et comment tu sais ça ?
— Je le sais. C'est tout.
Je le regarde avec des yeux ronds comme des soucoupes. Un gamin comme lui ne devrait pas savoir ça.
Non.
C'est injuste.
Je déteste ce monde rempli de certitudes.
— Eh bien, MOI, je veux devenir une super-héroïne. Je serais invincible et forte. Personne ne pourra me vaincre.
Petit à petit, son masque se craquelle pour laisser apparaître des yeux d'enfants remplis d'espoir.
— Même le cancer ?
Je hoche la tête avec gravité.
— Même le cancer.
— Alors moi aussi je deviendrais un super-héros ! s'écrie-t-il.
Il s'élance vers les autres enfants.
En courant tant bien que mal avec sa perfusion.
Et quand je le voie, une rengaine s'installe sous mon crâne.
Seulement trois mots.
La plus vieille phrase que le monde connaît.
Une phrase enfantine.
Elle tourne en boucle.
À un tel point que je ne sais même plus ce qu'elle veut dire.
Mais elle prend de l'ampleur.
Peut-être pour moi, pour le petit garçon, pour tous les gens qui pleurent les morts.
C'est pas juste.
Et ça réconforte de se dire par cette simple phrase que ce n'est pas de ma faute. Que c'est une fatalité.
C'est.
Pas.
Juste.
C'est pas juste. C'est pas juste. C'est pas juste. C'est pas juste. C'est pas juste. C'est pas juste. C'est pas juste. C'est pas juste...

CrépusculeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant