Chapitre 20 :

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— Quel regard ? je réplique, soupçonneuse.
Ce regard. Celui qui a tout vu. Même des choses qu'il n'aurait pas du.
— Comme quoi ?
Je deviens agressive.
Il m'énerve à parler comme un vieux Sioux.
— Comme la mort.
Il garde un calme olympien.
— Eh bien, Asher, dis-je d'un ton méprisant, laisse-moi t'expliquer une chose : dans ce monde, on ne parle pas aux gens comme ça ! Alors apprends à te mêler de tes oignons.
Je ne pense pas un mot de ce que je dis, mais mon seul but est de le faire fuir.
Il semble soudain gêné.
Comme un humain normal.
— On n'est pas obligés de parler de ça, chuchote-t-il d'un ton doux.
— On n'est pas obligés de parler tout court.
— D'accord, concède-t-il.
Ce brusque changement de comportement me surprend. Il avait l'air prêt à parler de beaucoup de choses qu'il connaissait mais ne le regardait pas...
On reste un moment comme ça.
Finalement, je regarde l'horloge du quai par-dessus l'épaule d'Asher. En voyant que le train arrive dans cinq minutes, je fronce les sourcils.
Il n'y a toujours personne sur les quais.
Je reporte de nouveau mon attention sur le jeune homme, révisant mon précédent avis : il n'est pas un prédateur sexuel, il est juste un échappé d'asile.
— Pourquoi tu me parles ?
— Parce que je veux connaître ton histoire.
— Et c'est une raison ?
— Oui.
Intérieurement, je bouille de rage.
C'est pour ça que j'hésite à lui répondre, de peur d'être cassante.
Je reste quelques secondes silencieuse, cherchant les mots qui satisferont sa demande.
— Mon histoire, finis-je par dire, ne se différenciait pas des sept milliards d'histoires de cette planète, jusqu'à maintenant. Elle est toujours perdue dans la multitude de l'humanité, mais elle a pris un tour totalement inattendu. Et... désagréable, si je puis dire.
Je parle prudemment, avec l'impression de marcher sur des œufs.
— Le nombre de pages avant la fin s'est considérablement réduit. Au point que je puisse les compter.
Je me tais et scrute son visage d'ange.
Il hoche la tête et semble s'enfermer dans un mutisme réfléchi. Je n'ose pas le sortit de sa méditation.
La voix indiquant que "le  train va bientôt entrer en gare" retentit dans les hauts parleurs.
Asher et moi allons-nous nous quitter sur ces dernières étranges paroles ?
Bah ! Je m'en fiche. Il n'est qu'un inconnu bizarre rencontré à la gare.
Non ?
Je le lève en attrapant mon sac.
Avant de m'éloigner, je me retourne vers lui.
Il paraît toujours aussi pensif et je demande s'il m'entendra :
— C'est bientôt la fin, je lui affirme quand même.
Pourquoi lui dis-je cela ? Peut-être à cause de son étrange aura.
Je me détourne.
Mais une main sur mon poignet m'empêche d'avancer plus.
Asher me fixe de ses yeux noisettes.
L'intensité de son regard me fait flancher et je le demande ce qu'il veut me dire qui prenne autant de temps.
Il me lâche soudainement, semblant se raviser.
Le hurlement aigu du train me ramène à la réalité.
Je tourne les talons et m'approche des portes qui s'ouvrent.
J'avance lentement, espérant entendre les mots qu'il a retenu.
C'est quand je pose un pied dans le train qu'Asher me lance dans le dos :
— Le début de la fin est tout de même un début.

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