Londres ~ octobre 1858
La demeure familiale des Carthew située dans le Borough de WestminsterL'humanité n'est qu'une grotesque mascarade ! pensa Sir William Carthew.
Assis à son bureau d'acajou, il lisait des archives. Son fidèle majordome, Alfred, lui avait subtilement remis ces précieux papiers pendant la soirée qui s'était déroulée dans le palace d'un frauduleux confrère de la noblesse. Depuis le temps que le baronnet à la courte chevelure châtain rêvait d'acquérir ces quelques paperasses, il n'était point déçu.
Parmi les lignes noircies, tant d'informations secrètes s'offraient à lui. Le trentenaire allait de surprise en surprise, il n'avait jamais douté qu'autant de mystères existaient sur Terre. Immergé, il en oublia le temps et le court du soleil qui déclinait dans son dos, à travers la fenêtre aux carreaux cerclés de plomb.
Au loin, les grosses cloches annoncèrent minuit. Trois coups distincts furent donnés à la porte. L'homme au visage anguleux releva son nez de ses feuilles et observa l'accès d'un regard suspicieux derrière ses petites lunettes rondes. Qui osait réclamer son attention à cette heure si avancée de la nuit ?
Pris de court, il rangea maladroitement ses précieuses trouvailles dans un tiroir scellé par une clef et dissimulé dans une trappe dérobée de son secrétaire avant de lancer de sa voix claire :
— Entrez donc !
Le battant s'ouvrit sur une silhouette sombre. La faible clarté de la flamme chancelante posée sur le bureau du baronnet ne permit pas de distinguer les traits de l'arrivant. Celui-ci referma la porte derrière lui, puis s'approcha, faisant claquer sa cape. Le noble n'avait point bougé d'un cheveu, les mains croisées sur le bois, le dos droit, il détaillait l'ombre. Un éclat à sa ceinture donna un indice au Sir sur l'identité de la présence. La boucle en métal terni représentait un oiseau aux ailes déployées et à la longue queue épurée. Pour un simple mortel, il n'y verrait que là, un banal piaf, mais pour Carthew, ses yeux détaillèrent le moindre détail qui symbolisait le phénix dans toute sa gloire.
— Je ne pensais pas vous revoir de sitôt, Monsieur Shade, lâcha William d'une voix amusée.
Il se décontracta, puis invita, d'un geste bref de la main, l'homme à s'asseoir en face de lui. Celui-ci s'avança dans la pièce et traina derrière lui un fauteuil richement sculpté pour siéger en tête à tête avec le noble. Quand les pieds quittèrent le tapis bordeaux et rencontrèrent le plancher, le raclement tira une grimace à Carthew. Il fusilla son collègue de malmener ses possessions, mais s'abstenait de toute parole.
Les boiseries des accoudoirs du siège où s'assit lourdement Shade embaumait toujours la cire fraichement appliquée. Elles représentaient une sculpture de sirène sensuelle qui ondulait dans de l'eau imaginaire. Le tissu de l'assise et du dossier était découpé dans un velours bleu nuit relié par des clous dorés à la structure.
— Que me vaut cette visite ?
Shade garda le silence, il attendit. Le Sir s'impatienta. Il joua nerveusement de ses doigts entrelacés et observa avec insistance le taiseux. Grand et trapu, il se tenait droit face au baronnet, sous le capuchon, un visage se dessina à la lueur chevrotante de la chandelle qui assombrissait ses cheveux mi-longs, encadrant un faciès à la peau halée. Un éclat d'amertume pétillait dans ses yeux d'or. La couleur verdâtre d'ordinaire se reflétait comme le métal le plus prisé à la flamme orangée. Une vilaine cicatrice assez ancienne marquait son fin nez et filait ensuite sous son œil gauche, cette blessure de guerre démontrait le passé tumultueux du roturier. Ses joues creuses manifestaient son absence de fortune ; le manque de nourriture devait être récurrent. Sa barbe de plusieurs jours atténuait ce désagrément tandis que ses fines lèvres ne s'étaient toujours pas désolidarisées durant l'interrogatoire visuel.
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La Compagnie de la Rose Noire
Fantasy〰️ Alaric est une jeune hybride belge, tentant de vivre une existence normale, à l'image des humains qui l'entourent. Étudiant en façade, il appartient au Monde Caché, le territoire invisible et merveilleux des surnaturels. Un terre mystique où les...