Chapitre 3 • Fripouille et Sacripant, deux trublions de la forêt de bruyères 2/2

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Ce voyage déraillait. Pourquoi avoir la manie de camper en hiver ? Pourtant, je savais que les rencontres du Caché se provoquaient loin de l'activité humaine et surtout, à la nuit tombée. Je rêvais d'un bon lit confortable au chaud après un repas copieux assis à une table.

Après une pique acerbe de ma part, Eulalia ne m'avait plus adressé la parole de la soirée. Ma mauvaise humeur se répandit sur Alfdis ou l'inverse. Elle s'était retirée dans un coin de notre campement et nous fusillait de ses yeux argentés aux reflets orangées des flammes crépitantes du feu.

La Dryade enfermée dans un mutisme forcé revint s'assoir près des braises. Elle avait fini ses incantations. Une douce tiédeur emplit l'atmosphère. Pas assez pour me réconforter, elle avait le mérite de stopper les claquements de mes dents.

Enroulé dans mon sac à couchage, je tournais le dos à mes acolytes. Les yeux perdus dans les étendues arides des Landes, je repensais à la discussion avec le Duergar quelques heures plus tôt.

Thorleif m'intriguait. Pourquoi avait-il subitement dévoiler l'emplacement du Cornu alors qu'au premier abord, il avait été très susceptible à son appellation ? Il nous cachait quelque chose...

La tête contre le sol, je percevais le monde végétal sous un nouvel angle. Le tapis de bruyères parsemé de touffes imposants de genêts, de buis ou encore d'ajoncs donnait l'impression de forêt lilliputiennes. Au loin, les ombres géantes des pins plantaient un décor plus austère et menaçant. Tout le contraire du lointain roulement constant de la mer en contre bas de la falaise me berçait. Un embrun marin apporta avec lui une odeur iodée. Je me détendis et plongeai dans un état second.

J'étais bien loin de mon quotidien d'étudiant universitaire. Dans une semaine, je devais me présenter à mon premier examen. Chose qui m'était impossible vu les évènements actuels, j'étais incapable de remplir ma mission et trouver du temps pour finir de réviser.

Camper à la belle étoile dans les landes avait un goût âpre de monde féérique, presque comme avoir effectué un pas sur le côté. Je tanguais constamment entre mes deux mondes : ma vie d'humain et celle surnaturelle. Maintenant, je ne pouvais refuser de m'embourber complètement dans celle que je redoutais le plus. Étais-ce un châtiment pour l'avoir si souvent délaissée ? Je désirais revenir en arrière au moment de l'insouciance de l'enfance.

Un ronflement brisa la doucement mélopée de la mer. Je resserrai les pans de mon sac à couchage de frustration. Le sommeil me fuyait. Par-delà le précipice de la falaise, les étoiles se dévoilèrent des nuages protecteurs. Je les observais briller intensément sans la pollution lumineuse des villes et les comptai comme des moutons. Rien à faire, le marchand de sables m'avait oublié.

Le fracas d'une pierre contre le sol rocheux me tira de ma brume onirique durement acquise. À mi-chemin de la réalité, j'entendis une voix s'élever sur un ton de reproche :

— Cousin ! On n'importune pas les humains ainsi !

Son interlocuteur minauda une réponse incompréhensible pour mes oreilles endormies.

— Tu crois que Jocelyne est contente d'être aussi abruptement éloignée de Thérèse ? Elles étaient en pleine discussion intéressante... Respecte un peu nos chères amies les pierres. Argh ! Vos mœurs wallonnes me dépassent... Je sens que j'ai encore beaucoup de travail avec toi.

Le son de sabots martelait contre la terre dure. Il était accompagné d'un grincement de souliers plus discret. Mes oreilles bourdonnèrent. Les deux individus circulèrent dans le campement sans crainte. Un souffle chaud effleura mon visage donc les effluves me donnèrent la nausée.

— BOUH !

Un cri de désespoir déchira les limbes de la nuit. Strident, il aurait pu réveiller un mort.

La Compagnie de la Rose NoireOù les histoires vivent. Découvrez maintenant