Chapitre 3 • Les monts enneigés gorgés d'un rêve allusif

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Sous mes pieds, l'appareil s'activa à nous transporter loin de la terre ferme. Par le hublot de l'avion, mon regard se perdit dans la noirceur de la nuit. J'avais une désagréable sensation qui me clouait dans mon siège, celle d'abandonner sur le macadam de la piste une partie de moi que je ne pourrais plus jamais posséder, comme on délaisse l'enfant qu'on a été après le cap de la majorité.

Un soupir peu discret se libéra de mes lèvres. Une main froide se déposa sur la mienne. Je tournai ma tête dans la direction opposée de celle de la fenêtre pour me retrouver être examiné par des yeux sombres pincés de concentration. D'une pression de ses doigts, ma mère essaya de me transmettre un message que je décryptais sans mal. Satisfaite, elle reporta son attention sur l'hôtesse de l'air qui déambulait dans les allées. Ce simple geste me revigora et éloigna, pour le reste du trajet, les doutes et les angoisses de mon esprit tourmenté.

Je me laissai même à la contemplation du profile de ma génitrice ce qui lui tira un faible sourire d'amusement. Je m'étais toujours demandé ce qui avait attiré mon père dans les filets de Leandra. Tout les opposait et pourtant, une harmonie et une confiance aveugle régnaient entre eux deux.

Quand les traits de son visage se détendaient, ma mère resplendissait d'une beauté sauvage. À ce moment-là, quand elle posait ses yeux sombres sur moi, je ne pouvais y lire que son désir de protection, d'amour infini pour ma personne. Souvent, les gens ne percevaient que ses gestes souples qui trahissaient sa dangerosité, ils n'arrivaient pas à la décrypter plus en profondeur.

Bien qu'elle pût se montrer dure, mais derrière chacune de ses remarques impitoyables, elle me poussait à me surpasser. Ainsi, elle me donnait les armes pour me défendre, car elle avait conscience qu'elle ne serait pas éternellement mon bouclier. Cette perspective la rendait malade.

— N'aie crainte ! Tout se passera bien, murmura-t-elle, le regard toujours fixé sur les allers et venues des occupants de l'habitacle.

Je ne sus si ces mots m'étaient entièrement destinés ou elle, aussi, y puisait une certaine force pour l'aider à vaincre les affres maternelles.

Ce fut avant que mon esprit s'engouffre dans les pentes vertigineuses de la rumination que Bastet décida de me sauter sur les genoux. Familier de ma mère, elle partageait pourtant de longs moments en ma compagnie. Au début, j'avais toujours pris ces faits comme une surveillance perpétuelle de ma génitrice, mais après un accident en la présence du Chat et l'ignorance de Leandra sur cet épisode, j'avais vite compris que le félin ne caftait pas tout. De nos sorties en duo étaient alors née une nouvelle collaboration qui nous réunissait dans un secret commun.

Voilée au regard des Ignorants, Bastet se dandina sur mes genoux à la recherche d'une position confortable. Quand elle se coucha enfin, discrètement, je lui caressai sous le menton. Extatique, elle libéra son ronronnement qui m'apaisait. Au moment où j'arrêtai de la gratouiller, elle riva sur moi ses grand yeux jade qui exprimaient son mécontentement. Malgré ses reproches, je plongeai dans ses océans verts qui me bercèrent sur leur vague de sagesse qui découlait de ses longues décennies. J'en oubliai le temps.

— Je suis contente de votre entente.

Ma mère nous observait, un léger éclat dans les yeux. Je me renfrognai dans mon siège et grommelai une réponse incompréhensive qui amusa Leandra, illuminant ses traits halés.

Elle était née dans les terres mexicaines, berceau de la race des Nahulas. Très jeune, elle émigra en Belgique et ne garda que très peu de souvenirs de sa vie des anciennes colonies espagnoles. Elle y retourna que bien plus tard, pour retrouver des liens avec ses grands-parents et quelques cousins. Par ma part, je n'y étais allé qu'une seul fois âgés de trois ans, j'en ai gardé aucun souvenir.

La Compagnie de la Rose NoireOù les histoires vivent. Découvrez maintenant