Chapitre 9 • Complots fœtaux

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Campagne ardennaise belge ~ septembre 1997

La longue silhouette élancée d'Hiver s'approcha de la jeune femme endormie dans le divan. La Dame l'observait de son regard impassible. Garni de son masque de givre, son visage ne pouvait être décrypté telle la glace figée. Ses cheveux blancs flottèrent autour de son corps tandis qu'une brume se répandit au sol.

La température de la pièce diminua drastiquement au contact de l'Esprit de Natūre. Elle tendit les doigts vers la peau fraiche du visage de la jeune femme qui frissonna dans son sommeil.

— Ne la touchez pas !

Elle rétracta sa main sous son manteau hiémal. Elle se redressa, mais continua à tourner le dos à cette voix qui osait troubler le silence. Sans la voir, elle savait qui s'adressait à elle.

— Que faites-vous ici ?

Elle ne répondit pas. Elle regarda le visage aux joues rosies et pulpeuses de la jeunesse encadré par une chevelure sombre. Une certaine admiration chatouilla la Dame de glace.

— Pourquoi poses-tu la question si tu en connais déjà la réponse, rétorqua-t-elle en se retournant vers son interlocutrice.

Le voile rouge jura face au drapée de neige. Toutes deux affichèrent une mine indescriptible. Une portait un masque et l'autre avait ses yeux couverts d'un bandeau blanc. Elles se toisèrent et l'énergie crépitait dans la pièce exiguë du chalet.

— Tu crois pouvoir nous en empêcher avec tes maigres pouvoirs ? ironisa Hiver. Regarde-toi, l'Observatrice !

Elle avait claqué la prononciation du surnom, lui rappelant son rôle mineur. Natūre reporta son attention sur la jeune femme. Celle-ci remua dans son sommeil, inconsciente de ce qui se jouait.

— Si vous persévérez sur cette voie, vous accélérez votre chute.

— Nous ne voulons pas entendre vos balivernes. Nous savons aussi bien que vous qu'il n'y a pas qu'un seul chemin.

— Vous ne connaissez pas aussi bien que moi la Toile des Fileuses.

Un silence chargé en électricité s'installa entre les deux Dames.

— Nous n'avons pas le choix ! rétorqua dans un murmure presque déchirant Hiver.

— Votre rôle est de les protéger, pas de les sacrifier, s'exclama d'un ton durci La Cendre.

— Si nous devons en sacrifiant un pour la cause de tous, nous ne nous abstiendrons pas.

Sans se soucier des mises en garde de l'Observatrice, Natūre s'accroupit à la hauteur du vendre arrondi de la dormeuse. L'Esprit ne pouvait douter de son geste. La cause était bien trop importante pour se permettre cette futilité. La Cendre n'était qu'une pauvre idiote qui préférait se reclure dans un pan du temps et de l'espace comme spectatrice. Qu'elle y retourne ! Elle avait fait le choix de ne pas intervenir dans le déroulement des mondes sauf pour y délivrer ses messages divins.

Ne pouvant rien faire de plus pour agir contre la volonté de Natūre, l'Oracle ne put qu'assister au désastre. La mise en garde n'avait pas suffi. Désemparée, elle regardait Hiver jouer avec les filaments de la jeune vie à naître. Elle eut un pincement douloureux au cœur. Une vie si précieuse gâchée par une bataille éternelle. La Cendre ne le supportait plus.

— Les dés sont lancés, conclut avec une pointe de joie la Dame hivernale, nous avons placé nos pions. Voyons maintenant comme notre frère va jouer les siens.

Elle lança un regard chargé de mise en garde à L'Oracle.

— N'essaye même pas de déjouer nos plans !

Elle disparut dans une pluie de flocons qui se volatilisèrent avant de toucher les lattes du plancher. La température remonta pour revenir à son origine. La lourdeur dans l'atmosphère s'estompa.

Hiver était repartie au Palais des Saisons, observant son double masculin avec les autres facettes de Natūre. Cette querelle entre eux impliquait désormais bien trop d'innocents. La Cendre ne pouvait plus supporter n'être qu'un témoin laissé sur le bord du chemin. Les deux autres Entité semblaient oublier qu'elle aussi avait du pouvoir et de l'influence.

— Mon pauvre petit ! Natūre t'a chargé d'une bien lourde mission. J'ai peu de poids sur ce monde telle était ma décision contrainte. Mais j'ai une force insoupçonnée qui peut avoir une grande importance si elle est habilement utilisée. Je t'en fais cadeau. Bien qu'elle t'alourdisse, elle ouvrira de nouvelles voies pour ta quête.

L'Oracle posa une main sur le ventre de la future mère. Une lumière rougeâtre partit de son cœur, passa dans les veines de son bras pour se réfugier dans l'abdomen de la jeune femme.

Après un dernier regard en arrière sur l'enfant à venir, La Cendre s'évapora dans la nuit. Le murmure de sa voix plana une dernière fois dans la pièce :

— Sache que ton destin est semé d'embuches et de douleur, mais tu y feras des rencontres merveilleuses. Je t'attends mon enfant et j'ai hâte de notre conciliabule...

La Compagnie de la Rose NoireOù les histoires vivent. Découvrez maintenant