Je pense que ça faisait un peu plus de quelques semaines que nous avions déménagé pour une vieille ferme rénovée en appartements. C'était sympa, Rue avait l'air sympa, les gens se mêlaient un peu de la vie des autres et notre voisin, qui avait l'air d'un alcoolique notoire doublé d'un espèce de beauf un peu étrange était quand même sympa, même s'il tentait parfois de faire du charme à ma mère.
Je ne lui ai jamais fait confiance et je pense que je ne lui en ferai jamais, c'était le type d'homme dont on essayais instinctivement de s'écarter, tout le contraire du propriétaire de notre immeuble. Il avait une fille et connaissait les enfants, assez pour nous permettre de nous poser dans l'espace sous le parking et y monter un mini local de jamm pour pouvoir jouer. Il nous a aussi permis d'installer un trampoline pour les jours plus chauds comme l'été, c'était vraiment quelqu'un de cool et sa fille l'était aussi. Au moment où j'écris, cela fait presque cinq ans que je vis ici.
Lorsque je suis arrivée, je m'apprêtais à rentrer en cinquième année de primaire, je ne sais pas quel est l'équivalent français et ça m'est assez égal, en fait, j'ai juste une histoire à raconter, rien de plus. Enfin.
Je n'avais pas d'amis et je ne cherchais dans un premier temps pas vraiment à m'en faire, je voulais juste faire un peu profil bas pour éviter que les gens ne remarquent ma différence, que je pensais encore être l'HPi. Franchement, je me dis que peu importe le nom qu'on lui donne, la différence reste quelque chose qui attire pitié et mépris.
Comment voulez-vous qu'on ne vous remarque pas quand vous êtes différent et que l'on vous traite comme un malade mental au point de ne pas savoir quoi faire avec ou à côté de vous pour éviter de déclencher des crises ou je ne sais quoi ? Seul les personnes ayant un syndrome de ce genre savent à quel point c'est insultant de voir la compassion dans les yeux de ses amis, comme si être différent était le plus gros fardeau que l'on pouvait porter.
Non mais les gars, je peux réfléchir, je suis pas conne, et je suis capable d'avoir autant de capacités voire plus que vous, du moins mentales, alors arrêtez de me traiter comme une aliénée ! Je vais bien ! Je ne suis pas trisomique, ça, c'est ce qu'on appelle une mutation génétique, je vais bien, je peux me mouvoir correctement, je prends juste d'autres chemins pour penser. Parfois plus lents, certes, mais parfois beaucoup plus rapides, alors arrêtez de me regarder étrangement parce que parfois je perds le fil de ce que je dis ou que je pars sur plusieurs sujets en même temps... Voire même simplement parce que je sors des choses qui pour vous, n'ont pas vraiment de rapport.
Je suis assez étrange pour être une curiosité, je ne le cache pas, certains de mes comportements m'intriguent moi-même et c'est d'ailleurs en partie pour cela que j'écris ces lignes aujourd'hui, mais je ne suis pas étrange au point d'être indéchiffrable. Alors arrêtez vos conneries et réfléchissez avec le peu de matière grise que cette société vous laisse encore posséder.
Enfin, sans amis, j'avais pour habitude d'aller explorer la forêt en contrebas, dans le vallon, un peu plus loin que la rivière qui serpentait paresseusement dans la région comme un long serpent brillant en été, ses eaux plus transparentes que bleues laissant rebondir quelques joyeux rayons d'un soleil tantôt froid et distant comme une seconde lune en hiver et brillant et chaleureux comme un doux feu de cheminée dans les saisons chaudes.
Ce n'est pas là que je rencontra ma première amie, mais c'est bien là que je me dis que je devrais peut-être cesser de ne faire qu'observer les animaux et plus précisément les oiseaux pour me remettre en quête du contact humain qui m'avait tant fais défaut ces dernières années. Ainsi, sur le chemin du retour, je m'étais promis d'aborder la première personne que je croiserai dès que les cours reprendraient, soit d'ici un peu plus d'une semaine. Je crois qu'il me restait douze jours de vacances à ce moment-là car je savais que j'avais profité de ce laps de temps pour me rendre à la piscine.
Cela m'aida pour ma rentrée, car j'avais déjà pu enregistrer quelques noms en écoutant les conversations dans ce lieu publique entre deux plongeons ou deux longueurs, personne ne me connaissais, mais j'avais au moins le mérite d'avoir de familier quelques noms et visages dans cet endroit qui me semblait un peu plus inconnu chaque jour.
Tous les jours, la première année, avant que la rentrée ne sonne et que je ne reprenne les cours au milieu d'un petit bordel qui s'aggraverait toujours plus et de l'odeur fraîche des plumes et des cahiers neufs que j'appréciais tout particulièrement.
Enfin vint le jour où je dû me réveiller plus tôt pour partir de bon matin chercher le bus dans la cour de l'école de Rue. C'était plat, étrange et malaisant d'être au milieu de tous ces élèves qui plaisantaient sur des sujets aussi inintéressant que la taille d'une intimité ou la possible homosexualité d'un autre.
Ici, les élèves étaient tout aussi vulgaires et je me souvient avoir serré mon sac contre moi en imaginant que peut-être, mon calvaire d'avant recommencerait. J'avais ensuite fait de mon mieux pour éjecter cette pensée et j'avais pris place tout au fond, à côté d'une fille ressemblant étrangement à un cheval et à une autre blonde, probablement russe par ailleurs, qui avait un grain de beauté ressemblant étrangement à un bouton et tout sauf beau sous son oreille. Je ne me souviens pas s'il s'agissait de la droite ou de la gauche.
J'appris rapidement son nom en écoutant la fille-cheval parler, il s'agissait d'Olga, mon intuition quant à ses origines se révéla exact et je ferma les yeux pour ne distinguer que le nom de Victoire, qui était l'amie de la petite russe.
Toutes les deux étaient plus grandes que moi, mais je crois que j'étais plus âgée, la chose fut, qu'elles commencèrent à me parler et que je dus pour un peu de sérénité mentir quant à quelques sujets comme le métier que j'aimerais exercer plus tard ou le style musical que j'écoutais le plus. Je n'aimais pas mentir, je haïssais les hypocrites, mais pour un instant il me parut plus justifiable de ne pas tenter le diable et de ne pas me révéler trop étranges auprès de ces deux filles que j'appellerai bientôt amies et à qui je révèlerai ma supercherie.
Elles n'en tiendraient pas compte, du moins c'est ce qu'elles me diront.
Mais enfin, nous avions donc continué à parler sur le voyage et je les trouva assez peu matures pour leur âge, ainsi que les autres garçons qui se trouvaient à proximité et dont j'entendais des bribes de discussions souvent autour de sujets inintéressants.
Ce qui me faisait beaucoup plus différer des élèves de cette école était mon recul assez anormal sur les situations, j'étais timide, gênée de parler et je ne voulais pas que les gens me prennent pour quelqu'un d'étrange. Pourtant, lorsque je devais parler de quelque chose dont je connaissais bien le thème, j'étais difficilement arrêtable et ce, pour le plus grand plaisir de notre professeure d'histoire qui en apprenait presque autant que les élèves sur les grand pharaons et les différences entre la haute et la basse Egypte.
Enfin, pour l'instant, je ne savais rien de l'école dans laquelle j'allais et j'étais bien résolue à devenir amies avec mes voisines de places dans le bus en attendant que celui-ci me fasse découvrir ce que j'appellerai désormais ma nouvelle école et plus précisément, ma nouvelle classe.
Ce que je redoutais par-dessus tout, par contre, était le discours que j'allais devoir fournir devant ma classe pour me présenter. Je n'étais pas de ces personnes qui font des cauchemars avant de parler devant des gens. Je ne les aimais pas. C'est tout. Ils ne me faisaient pas peur dans une classe, ils me faisaient peur en dehors. C'est pour ça que je ne voulais parler à personne et que je m'étais passionnée encore plus pour ce mystérieux auteur qu'aucun élève ne semblait connaître "Stephen King".