Chapitre 4: Lupus, dernière partie

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je ne sais pas si j'ai correctement dépeint l'amour que je ressentais pour Lupus, du moins celui fraternel, qui nous unissait, car il n'a jamais été question d'autre chose. Mais un dernier détail pourrait bien se révéler important pour ce dernier chapitre sur mon loup adoré.

Connaissez-vous la légende anglaise des loups-garous ? Celle qui dit que si on croit totalement, si on a totalement confiance en un loup et qu'on l'appelle par son nom, il reprendra forme humaine...

Eh bien disons que je l'ai un peu adaptée, de sorte à ce qu'elle corresponde à ce que Lupus était, je me souviens d'une nuit en particulier, où je ne pouvais pas dormir, et il était là, dans mon lit, comme une bouillote bien chaude ou un coussin douillet. 

Les yeux rivés au plafond, j'avais demandé, intriguée. 

"Lupus n'est pas ton nom, n'est-ce pas ?

- Effectivement

- D'où tu viens ?

- De loin

- Tu peux me dire ton nom ?

- C'est juste un nom

- Je te fais confiance. Totalement"

Je me souviens des histoires que mon père me racontait, dont cette fameuse légende, c'était agréable de l'entendre, la nuit, avant de dormir. Mais là, je savais que c'était ce souvenir là que je devais repêcher. 

"Tu as un vieux nom, n'est-ce pas ?

- Peut-être

- Tu viens d'où ?

- De France

- Donc tu es un enfant français

- Oui

- ton nom ?

- Je ne te le dirais pas

- S'il te plaît

- Trouve-le"

Et j'avais fini par le trouver, c'était un nom qui sentait les rues bondées, le sang séché, l'action... Je l'aimais, c'était un nom qui sonnait comme le grognement sourd d'un animal qui rentre dans l'arène. 

Au moment ou ma langue rencontra mon palais pour finir de le prononcer, Lupus se changea en ce même garçon qui m'avait déjà accompagnée pour cette fête de fin d'année. J'étais époustouflée, il n'était pas qu'un loup, c'était bel et bien un frère de sang, mais celui que j'aurais aimé avoir, pas celui que j'avais sous mon toit. Celui qui aurait été la vraie aide dont j'avais besoin. 

Dès lors, cette combinaison si particulière de lettres était devenue mon bijou, la petite perle rare que  mon cœur s'évertue à garder et c'est pour cela que je ne l'ai pas révélé un peu plus haut. C'est idiot et je l'assume, mais c'est, encore aujourd'hui, la dernière chose qui me relie à lui. Son nom. 

Maintenant... ou peut-être un peu plus tard, viens le moment des adieux. Viens le moment où ma vie à véritablement perdu sa raison pour la première fois. J'ai de la peine à croire que j'écris ça aujourd'hui, maintenant, à 19:43. Mais je le fais, j'ai envie de le dire, j'ai besoin de le dire, comme... disons... une sépulture. Personne ne la verrait mais c'est toujours mieux que ce que j'ai pu faire jusqu'à présent. 

Avant de raconter l'accident, j'aimerais me pencher sur l'aspect plus réel de la chose. 

Alors: 

La question qui tourne dans ma tête maintenant est: Suis-je folle ?

Honnêtement, je ne pense pas, je pense simplement que c'est un effet secondaire d'Asperger, une imagination débordante qui peut influencer la réalité. Ne soyez pas surpris, dans la suite, je vais encore beaucoup parler de cet aspect de ma personnalité, de l'omniprésence de mes amis, ou de l'absence dans les textes de mes parents ou de mes frères. Je ne cherche pas à centrer ce livre sur moi, je cherche simplement à comprendre ce qui se passe dans ma propre tête. Je suis assez perdue et disons que je sais qu'une biographie, une auto-biographie, plutôt, peut aider à se comprendre et à interpréter certaines choses du passé et du présent. Bien que le présent soit bien futile. 

Après cette révélation de la créature qui m'accompagnait tous les jours, j'étais sortie avec lui, c'était l'été et nous avions prévu d'aller, avec mes parents, chercher un livre de Tom Gates. Mon père s'était dégonflé à la dernière seconde et, sur la route, qui était bien silencieuse sous les riffs de Keith Richards, j'avais demandé à ma mère

"Maman, c'est quoi la dépression ?

- C'est quand on a des pensées très noires

- Qu'est-ce que c'est, le suicide ?

- C'est quand on se donne la mort, souvent à cause de ces idées noires. Pourquoi ces questions, Lauren ?

- Je l'ai lu dans un livre"

Mon esprit s'échappait déjà, mon cœur, selon ce que je ressentais, semblait couvert de ténèbres huileuses et attachées comme de mystérieux tentacules. Ces moqueries m'atteignaient bien plus que je ne l'avais imaginé. 

Ne souhaitant pas attiser les soupçons de ma mère, nous avions parlé de tout et de rien. Nous nous dirigions vers la librairie, j'aimais ces endroits, être au milieu des livres me permettait d'être libre. Finalement, j'étais repartie avec plusieurs livres sur les dinosaures dont je connaissais déjà tous leurs noms et leur capacités plus le dernier tomme sorti de Tom Gates.

Après cette discussion, j'étais retournée dans mon palais mental, je l'avais monté comme un temple grec, j'admirais beaucoup cette architecture, Lupus passait son temps à gambader dans les plaines infinies d'herbe verte et de fleurs multicolores. Des papillons volaient un peu partout et, de temps à autre, le loup sautait pour en cueillir un dans sa gueule avant de le recracher. Je ne comprenais pas son manège mais ça semblait l'amuser. 

Sauf que... je ne m'attendais pas à retrouver mon palais dans cet état. Tout avait brûlé, les colonnes étaient tombées, brisées. Les pierres autrefois blanches étaient noircies, les papillons morts, les fleurs calcinées et la seule chose qui demeurait en un seul morceau était Lupus, fou de terreur dans un coin, comme s'il était rescapé d'une chute de météorite.

J'aurais dû prendre ça pour un avertissement. 

Le lendemain, alors que nous nous baladions, j'avais traversé la rue en face de l'école, qui donnait sur le Tea-Room et la place en dalles perlées de pierres noires, beiges, grises. Je devais rentrer à la maison et nous avions été jouer dans la cour du bâtiment scolaire. 

Dans mon insouciance d'enfant, j'avais dû traverser la route un peu vite parce que j'ai entendu les hurlements de Lupus avant de me retourner pour voir son corps étendu sur la route et la voiture qui continuait de rouler. La pire horreur de ma vie se déroulait sous mes yeux mais personne ne le voyait. Je ne pouvais pas pleurer, j'étais choquée, bien trop choquée. 

"Merde..." 

Est tout ce qui était sorti de ma bouche. Je voyais mon si cher ami écrasé, les entrailles répandues, la fourrure souillée, le museau éclaté, gémissant, me regardant, suppliant, semblant demander de tout son être une explication, de l'aide, quelque chose. 

puis il aboya, enfin lâcha un son qui n'en était pas trop loin, il demandait une dernière caresse, je ne pouvais pas lui donner, j'avais trop peur. Un sourire de loup avait étiré ses babines noires comme la nuit et ses yeux devinrent vitreux alors que je devinais la fin qui l'avait étreint comme je l'avais fait tant de fois. Traînant sa pauvre âme. Ailleurs.


Les hurlements du SilenceWhere stories live. Discover now