Chapitre 18: Coeur faible

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Quand je suis revenue à l'école après ça, c'était difficile, Kevin me haïssait, je crois que je le détestais tout autant, peut-être plus. Et c'est là que Bélial est réapparu pour la première fois depuis longtemps. Dans un rêve d'abord, où, sous une forme monstrueuse, il se rappela à mon bon souvenir. 

Il voulait m'aider à ne plus souffrir de la solitude qui s'abattait à nouveau, de mon besoin d'affection qui risquait de compromettre la personne que j'étais, mais surtout, il voulait que je lui cède mon amour. Non pas comme un mariage, mais comme une nourriture, chaque fois un peu plus, il m'empêcherai de tomber amoureuse. Et ça me convenait parfaitement, l'épisode "Kevin" ne devait jamais se reproduire, quel qu'en fut le prix à payer. 

Oh, j'arrêta de dormir, je voulais mourir, mon corps me faisait souffrir le martyre mais qu'est-ce que ça en valait la peine, me disais-je, car bientôt je serai libre et aucun homme, aucune femme en ce monde ne pourrait alors plus me garder dans une cage dorée. Je serai insensible à toutes les belles paroles, à tous les sentiments traître de ces gens hypocrites. Je ne ressentirai plus jamais le besoin enivrant de sentir des bras autour de moi. Je pourrai enfin rejeter les êtres humains complètement. Et dans cette histoire, je n'avais que treize ans. 

Seulement, il y a une chose qui est vraie et dans la bible, et dans les contes de fées, et dans la réalité, le Diable ne donne pas toujours toutes ses conditions. Ainsi mon propre diable me lança dans d'autres cages, d'autres jeunes hommes, encore pas de femmes, qui me firent toutes souffrir. Comme Solène me le disait, j'avais le chic pour attirer vers moi des personnes étranges qui m'utilisaient mais finissaient par m'aimer au fond. 

L'amour me devint de plus en plus insupportable, je tomba amoureuse de presque toute la bande de Kevin, sauf Gavin, ce qui me dégoûta toujours plus. Aucun de ceux-là n'avaient une personnalité stable ou une réelle affection. Et Satan seul sait à quel point le simple contact humain me faisait horreur désormais. Je pouvais encore tomber amoureuse, mais plus le temps passait, moins mes histoires étaient longues.

Vint alors la sortie à Avenches, qui sonnait la fin de l'année, pour l'instant, je ne parlerai pas plus de ce qui s'y est passé. Simplement, lors de cette sortie à vélo, je pus me plaire à pédaler tout mon saoul et oublier le monde autour, mon père était là, et bien que le parcours était éreintant, je ne pouvais m'empêcher de vouloir faire aussi mal à mon corps que mon esprit souffrait. Car je n'était que ça, une boule de douleur, et je savais que nous irions voir Manson le premier mois d'été. Il me semblait incroyablement proche de moi, toute sa musique rencontrait une résonnance immense, j'aimais l'entendre. C'était la seule chose qui appaisait les cœurs démoniaques qui sévissaient plus fort que jamais dans ma tête. 

Le voyage était long, le froid mordait mais je me sentais empreinte d'une énergie immense, et pédaler contre la bise toute la matinée pour atteindre des arènes immense, romaines (bien que je les détestât à l'époque), me remplissait de la joie perdue des sites archéologiques dont je rêvais tant de partir à l'assaut. 

Je me souviens très bien du premier kilomètre, pratiquement que du plat, je ne sentais plus mes mains, sauf quand le froid y plantait comme de petites aiguilles teigneuses. La peau s'était teintée de petites zones rouges et mes doigts étaient gourds. Mon souffle s'envolait en une buée que je me plaisais dans le secret de ma tête, à interpréter comme de petits dragons, serpents, chiens... loups. 

La fierté de m'engager dans mon premier grand voyage de la sorte gonflait ma poitrine, je me disais que le réussir marquerai un cap. J'aurai fait au moins quelque chose de bien cette année, l'effort soulageait doucement ma conscience. Et avec l'heure qui avançait, la température montait, la route devenait plus facile. 

Je n'ai pas grand-chose de plus à raconter concernant ma première année. Ce n'était pas vraiment la meilleure. Je n'étais ni bonne, ni mauvaise, juste une élève avec trop d'ambitions au milieu d'une foule, faisant des blocages l'empêchant de se démarquer et de pouvoir toucher, caresser du bout des doigts le tissu fin et filandreux des rêves de l'enfance qui semblent prendre un peu plus de consistance avec le temps. 

Tous mes profs étaient plus ou moins gentils, au courant de mon syndrome et personne n'en faisait vraiment mention mais on expliquait un peu aux élèves que je ne marchais pas comme eux, certains profs osaient utiliser des mots un peu plus fort lorsqu'ils me parlaient de mon Asperger. On me disait que c'était un handicap mental mais la vérité c'est que je pense que c'est surtout une chance exceptionnelle. La possibilité d'avoir des passions qui peuvent étendre à l'infini les limites de notre imagination. Nous permettant de voir tout ce qui se passe dans notre tête de manière quasi réelle. 

Je ne compte pas le nombre de fois où j'ai repris quelqu'un me disant que j'avais un handicap, ce n'est pas vrai, je n'ai pas perdu l'usage d'une part de mon cerveau, de ma motricité, je suis parfaitement fonctionnelle. Enfin presque. 

Parce que je n'étais, ne suis, et ne serai sûrement jamais stable. Et ça fait peur, n'est-ce pas ? C'est effrayant de se dire que quelque chose de plus sombre en moi contrebalance mon envie d'aider et de faire la médiatrice dans les problèmes. Je ne doute pas qu'un jour je puisse péter un câble, je puisse vouloir cesser d'entendre ces chœurs horribles dans ma tête, mais il se peut aussi que je finisse par aimer leur chaos et que j'embrasse de toute mon âme cette mélodie. 

Le lac de glace gelé qui protège mon palais mental de mes démons pourrait se briser. 

















Spoiler alert: Ce que j'ai craint s'est produit, mais on en parlera plus tard. 


Les hurlements du SilenceWhere stories live. Discover now