J'ai toujours été l'enfant absent, dans les nuages, dans ses rêves, avec un livre entre les mains, à parler dans le vide à ses amis imaginaires , persuadée qu'ils existaient, que les gens ne faisaient que les ignorer parce qu'ils étaient trop effrayants.
Pour être honnête, la plupart de mes amis imaginaires sont restés inconnus de mes parents, je ne leur parlait que de Lupus, et j'ai fini par arrêter de leur parler d'eux tout court quand je me suis rendue compte que je ne devrais plus les voir, que je ne devrais normalement plus pouvoir avoir de discussion complète avec ou même les entendre. Mais comment faire ?
J'ai rencontré Lupus, alors que je fuyais les élèves qui me harcelaient, j'étais seule, perdue dans la forêt. Mes parents pensaient que j'étais en simple balade, ce qui était l'objectif premier de ma sortie, mais j'avais croisé quelques uns de mes tortionnaires durant mon petit périple à Attalens.
J'avais couru si longtemps, sans même remarquer qu'ils avaient fini par me lâcher, que mes jambes me faisaient atrocement mal, j'avais le souffle court, je m'étais planquée dans un terrier abandonné, sûrement de blaireau. J'étais faible, petite, légèrement ronde et je devais tous les jours courir pour ce qui me semblait être ma vie.
Je me demande aujourd'hui si je ne souffre pas d'un dédoublement de personnalité, car je vois ces manifestations de mon esprit aussi bien que je vois mes parents ou tout être ou toute chose de la vie quotidienne. C'est comme s'ils étaient vraiment là.
Mais enfin, comme je disais:
Perdue, effrayée, épuisée, je m'étais assise sur une pierre, pleurant toutes les larmes de mon corps et espérant de tout mon cœur que n'importe qui me trouverait, que ce soit des élèves, un chasseur (c'était l'automne), des adultes ou peu importe. Je voulais juste que quelqu'un me ramène à la maison.
C'est alors que je le vis, un loup énorme à la fourrure d'argent, il avait l'air blessé, furax et il grognait après moi. Ses babines retroussées dévoilaient des crocs blancs comme la neige et brillant comme le froid soleil d'hiver à semi voilé par des résidus de brouillard. Ses poils drus et épais reflétaient étrangement les rais lumineux qui filtraient entre les feuilles des immenses arbres dressés fièrement au-dessus de nos têtes.
Le sang coulait des gencives de l'animal qui grondait et couinait à la fois, me regardant comme si je lui était hostile. Je vis rapidement que la raison de ses grondements était un morceau de verre coincé sur le côté de sa gencive, entre deux dents et transperçant la mâchoire.
Sur le sol, je voyais les gouttes de sang tomber et je les entendais s'écraser au rythme régulier de son cœur qui devait être en train de s'affoler.
Dans ses yeux bleu arctique luisait une lueur d'intelligence si vive qu'on aurait pu les penser humains si seulement ils avaient été moins brutes, animaux, dangereux et incroyablement attirant, comme les glaces éternelles du cercle polaire.
Aussitôt, je m'étais roulée en boule, comme nous l'avions appris à l'école face à des chiens, le problème était que les loups... étaient totalement absent de cette région et que je n'avais jamais vu une pareille créature, dotée d'un pelage aussi brillant, aussi luisant... aussi iréel...
Sauf que quand la chose s'approcha, me poussant sur le côté, je sentis qu'il était réel, du moins eu-je l'impression car le frottis de sa peau contre la mienne ressemblait à de la soie courant sur mon épiderme dans une cascade de gris brillant aux milles nuances.
En le regardant, effrayée, je l'avais vu chercher dans ma veste, j'avais toujours mon déjeuner, morte de peur, j'avais roulé pour m'éloigner, il avait grondé, je lui avais donné le jambon de mon sandwich.
Quand il eut fini de dévorer le morceau de viande, le loup sembla s'apaiser, pour une raison inconnue (ou peut-être parce que je suis conne) j'avais approché ma main de sa gueule. Il m'avertit d'un grognement... mais... je ne recula pas et saisit entre mes doigts le morceau de verre avant de l'arracher d'un coup sec.
le loup hurla de toutes ses forces, mais je saisis une poignée de feuilles pour les appliquer contre sa plaie... lorsque je les retira, quelques secondes plus tard, le sang avait cessé de couler et c'est comme si la créature en face de moi n'avait jamais été blessée.
Pour la première fois, j'ai eu l'impression d'être folle, ce que je voyais n'obéissait à aucune règle logique. Je n'avais plus peur d'être perdue, j'étais juste fascinée par la créature qui se tenait en face de moi, dans toute sa splendeur, sa grâce, sa dangerosité et sa majesté. C'était comme voir un ange, un ange étrange, lupin, animal, certes, mais un ange quand même. Qui aurait cru, s'il avait été un témoin silencieux de cette scène, que je n'étais pas folle ?
La chose s'était approchée, couchée sur mes genoux et je la câlinais, laissant la peur refluer et mes doigts courir dans cette mer de poils incroyablement réalistes. Encore aujourd'hui, avec de longues années de recul, je me demande comment cette scène s'est produite dans la réalité. Je me demande aussi comment je peux voir de la même manière Fag, Guy, Belial...
Enfin, la raison me revenant gentiment, je me remis à pleurer, mes yeux étaient rouges et gonflés, mes mains tremblaient et je crois bien que mon nez était assez irrité à cause des nombreuses fois où je l'avais essuyé trop rapidement avec ma veste rêche pendant ma course.
Celui que je nommerais désormais Lupus me regarda dans les yeux, me transperçant de son regard clairvoyant et, doux, me lécha la joue avant de me ramener chez moi. Nous prîmes le même chemin que j'avais emprunté pour venir ici, lui devant, moi à ses côtés, m'accrochant au collier de fourrure sur son l'arrière de son cou, là où sa mère devait l'avoir porté en temps que louveteau.
Lorsque je raconta cette histoire à mes parents, des années plus tard, ils ne me crurent pas et dirent que j'avais halluciné, pourtant... si Lupus avait toujours été de ce monde, j'aurais pu leur prouver que c'était vrai ! Du moins le croyais-je...
Parmi ceux qui liront cette histoire, combien d'entre vous me croiront folle ? Combien d'entre vous penseront que je mens ? Combien d'entre vous, si vous me connaissez, ne m'adresseront plus la parole à cause de ce que j'ai vu et ce que je vois encore. J'aime tous ces amis que je vois, ils m'aident, me guident et me protègent sans avoir d'impact sur la réalité pour les autres.
Comment est mort Lupus ? Se demanderont peut-être quelques rares lecteurs de ce chapitre... et je vous le dirai ! Mais pour l'instant, c'est une autre histoire.