Jace
Je gare ma voiture derrière un énorme 4x4 gris et m'extirpe difficilement de l'habitacle à cause de mon costume noir légèrement trop cintré. Comme un automate, je suis la masse noire compacte de personne qui avance dans une parfaite coordination de tristesse et de paroles déplorables vers la tombe vide du couturier.
Pour une fois dans un rassemblement de ce genre, les personnes qui m'entourent sont, sauf quelques exceptions, célèbres. Personne ne va tenter, d'une manière incroyablement subtile, de me réclamer un autographe et c'est tant mieux, parce que je risque d'envoyer se faire foutre la première personne qui tentera de m'adresser la parole, pour quelque raison qu'elle soit. Les regards que portent les nombreux amis Karl commence déjà à me casser les couilles. Il est vrai que tous les couturiers et mannequins présents pendant les défilés sont témoins de mes sautes d'humeurs, aussi bien sur le personnel que sur Karl, mais personne ne connaissait l'envers du décor. La vérité est que l'homme qui est décédé il y quelque jour n'était pas n'importe qui pour moi, mais ça tout le monde s'en contre fou, bien entendu.
Après une heure au crématorium, à être dévisagé par des connards de premières parce que j'étais installé au premier rang, à la demande de Karl, voilà que ces mêmes personnes ne se gênent pas pour recommencer.
-Excusez-moi, mais seuls les proches peuvent se mettre devant.
Je serre les mâchoires aussi fort que possible pour ne pas exploser sous peine de faire un tel ravage que Fukushima aurait l'air de gamineries à côté. Pour toute réponse je m'avance davantage, afin d'être le plus près possible de la plaque de granite. La vieille peau qui m'a gentiment demandé de dégager grince des insultes datant des années cinquante à mon encontre avant d'aller rejoindre un groupe de mégères, ravi de l'entendre m'injurier comme si je n'étais qu'un gros chien qui s'allonge au milieu de la route.
-Nous sommes ici, parce que notre ami souhaitait que ses proches puissent se recueillir à un endroit si ils en ressentaient le besoin.
Une minute de silence durant laquelle nous sommes censés apporter toutes nos pensées au mort s'écoule avant que le type mince au crâne défraichi ne reprenne la parole :
-Certain souhaite peut-être faire ou refaire un discourt.
À ces mots, un homme entre deux âges, dont la tête me dit vaguement quelque chose, s'avance dans les rangs puis se postent face à la foule, d'un air important.
-Karl était un grand ami à moi. Une personne brillante qui était appréciée de tous, même de ceux qui ne le connaissait pas. Il a vécu une vie merveilleuse, dédiée à la mode et ses mannequins ainsi qu'à choupette. Je pense et j'espère, que c'est sans regrets qu'il nous a quitté.
Quand il retourne se perdre dans la foule, ses yeux croisent les miens et me transmettent pour la première fois de la journée, non pas de la méfiance mais une grande tristesse.
Je connais ce type, c'est certain.
Mes pensées divaguent et s'assombrissent au fur et à mesure que les personnes qui souhaitent dire un dernier au revoir à Karl, défilent devant moi.
Quand il m'a dit qu'il ne viendra pas saluer à la fin du défilé à Paris, c'était la première fois que Karl a montré des signes de faiblesses devant moi et j'ai su qu'il ne resterait plus à mes côtés longtemps. Une partie au fond de moi, la plus naïve et stupide, croyait encore qu'il était immortel et m'accompagnerait tout au long de ma misérable vie.
Il faut croire que cette vie s'entête à me rappeler que toutes les personnes à qui j'accorde la moindre attention finissent par mourir et à me laisser seul, face à mon triste sort.

VOUS LISEZ
L'Or et l'Argent
Любовные романыÀ 25 ans, Lisa Halloway, princesse d'Hollywood et mannequin far, est au sommet de la pyramide de la gloire. Elle prouve sans difficultés au monde entier qu'elle peut tenir n'importe quel rôle. Quand Tom Weddin lui propose le rôle de personnage fémin...