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Je relevais les yeux vers elle en attendant la réponse. Elle, sur ses jambes et embarquant son ordinateur dans ses bras, remonta ses lunettes et balança sa besace sur l'épaule.

« En retard pour mon prochain cours. Tu me diras c'est quoi son super pouvoir vendredi. »

Son odeur emplit mes narines lorsqu'elle passa derrière moi pour sortir. Une odeur très sucrée. Pas une odeur de femme comme portaient toutes les étudiantes qui se voulaient mures. Non. Quelque chose de très enfantin, très espiègle. Qui allait assez parfaitement avec l'expression de son visage.

Clignant des yeux pour revenir à mes esprits, je me rendis compte que la salle se vidait. Même Elias s'était réveillé et rangeait son ordinateur à son tour.

« Mec, t'as une nouvelle cible ? »Je regardais s'éloigner la fille, son corps se mouvant avec grâce parmi les étudiants qui se ruaient pour quitter l'amphithéâtre.

« Tu la connais ?

-Oui et toi aussi.C'est la fille au dernier rang de tous les cours.

- Elle n'était pas blonde celle-là ?

-Si et elle est devenu brune apparemment. Mec, elle ne parle à personne en cours. C'est la première fois que je la vois interagir avec quelqu'un à l'intérieur de la fac en fait. De quoi vous parliez ?

-Rien. Des conneries. On va manger. »


La journée passant, je cherchais des yeux la fille. Je l'appelais « la fille » à défaut de savoir son patronyme. Pourtant, malgré Élias qui m'assurait la voir tous les jours dans les mêmes cours que nous, je ne la repérais nulle part. Ni en cours, ni dehors.

Lassé et extrêmement frustré, j'abandonnais Élias à dix-sept heures et pris le chemin de la maison seul.

C'était une fille banale que j'avais rencontré dans un cours banal un jour banal. Il n'y avait pas vraiment de quoi fouetter un chat. Mais elle dégageait quelque chose de bon.


Vendredi arriva bien lentement selon moi. A huit heures, peu de gens se présentaient pour les trois heures de littérature avec une professeure vieille et décrépie, encore plus ennuyante que le professeur du lundi. Les étudiants commençaient à fleurir vers neuf heures puis la salle se remplissait au cours de la demi-heure suivante. A neuf heures quarante-cinq, on pouvait considérer que l'amphi était plein. Et ce jour-là ne dérogeais pas à la règle.

La fille, elle, n'arriva qu'a huit heures quinze avec une petite troupe d'autres étudiantes à la bourre. La salle était presque vide. Excepté bien sur la dernière rangée, occupée par Elias et sa copine, trois autres amis et moi. Elle jeta un regard circulaire à la salle et tomba sur moi.Elle sourit puis descendit jusqu'au premier rang. Comparée à la dernière fois, elle était aujourd'hui maquillée, d'un rouge à lèvre carmin splendide qui avait illuminé son sourire. Avec une queue de cheval haute et un bandeau noué sur le côté de sa tête,elle aurait pu sortir des années 50. Habillée toute en noir et d'une chemise à carreaux rouge et noir nouée à la taille, elle semblait plus longiligne qu'elle ne l'était. Seule sa poitrine refusait de rester cachée. Je me demandais longtemps si je devais aller la voir ou pas. Mais pourquoi j'aurais dû aller la voir ? Qu'est-ce que je lui voulais ? La séduire ? Peut-être pas. Ou peut-être que si.


« Elle est mignonne ta cible aujourd'hui. On la partage ? Me demande Élias en passant sa langue sur ses lèvres.

-Vas te faire voir. T'as trouvé son nom ?

-Le nom de qui ?Demanda la copine d'Élias.

-De la nouvelle cible de Eliott, répondit sans hésiter l'enfoiré. »


Chloé s'avança et lorgna sur la chevelure de la fille en se tortillant sur son siège. Chloé était une fille sympa sans plus que nous convoitions Élias et moi. Être en compétition pour les filles était un de nos jeux favoris. Quand j'oubliais pourquoi nous avions tous les deux convoité Chloé, un regard à sa chute de reins me rappelait nos soirées de traque. Elle l'étudia un instant avant de se rasseoir. Elle remit sa longue chevelure blonde platine sur son épaule et se tourna vers moi.


« Elle est dans mon cours d'Étude des médias. Une fille du fond de la classe, toujours sur son ordinateur ou sa tablette. Elle garde un cahier près d'elle et elle dessine.

-Connais-tu son nom ? Demandai-je agacé.

-Non. Que son nom de famille. Elaab

-Ça ne m'avance pas mais merci quand même.

-Elle te plaît ?Demanda Christophe en continuant de taper le cours.

-Je ne sais pas encore.

-C'est Papa B qui va être content, soupira Nathan. »


Je soupirai à mon tour. Être le fils du P-DG d'un groupe de distribution de cosmétique aussi géant que celui de Laurent Castellane était une catastrophe et une perpétuelle suffocation. Fricoter avec des roturières, autant que tu veux mon fils. Mais celles qui te plaisent, prends garde à les choisir dans d'anciennes et nobles familles. Et cette fille, Elaab, donnait d'autres envies que de fricoter.

Tout un tas de règle régissaient nos vies. Des règles qui nous rendaient malheureux, certes, mais qui maintenaient l'équilibre social et qui donnait l'impression d'une façade de famille lisse et parfaite pour les médias.

J'étais tombé amoureux une fois, quand j'avais dix-sept ans. Léa était belle, douce, gentille et adorait la bagarre. Elle dansait le classique aussi bien qu'elle boxait thaïlandais et ne reniait jamais une partie de console. Mais Léa, aussi douée soit-elle en danse, en arts martiaux et en cours, n'était qu'une simple fille d'entrepreneur. Peut-être bien riche mais pas assez et certainement pas de sang bleu.


« A quoi tu penses ? » Me demanda Céline en me sortant de mes souvenirs maussades.


Céline ou la bonne copine qui était toujours là pour remonter le moral à tout le monde. Son visage en forme de cœur et ses cheveux blond cendrés appelaient au partage. Toujours souriante, elle vous invitait à vous confier.


« Ça vous dit de sortir ce soir ? Un endroit avec beaucoup de gens à draguer et beaucoup d'alcool, éludai-je en leur montrant la soirée en question sur mon téléphone.

-Carrément. »


Les autres obtempèrent. Une nouvelle fois perdu dans mes pensées, je ne me rendis pas compte que la salle se vidait. En jetant un regard au premier rang, je trouvais la rangée vide, la place de la fille comprise.

Elias ne pu se garder de se moquer de moi durant la journée. C'est vrai qu'être obsédée par une ombre inconnue était risible. Mais c'était irrésistible. Il y avait parfois ce genre de rencontre, dont on espérait être qu'un moment fugace et insignifiant, qui se transformait en obsession. Et j'aurais dû savoir, des ce jour, que cette fille serait particulière.


Vers quatorze heures trente, je me dirigeais seul vers l'entrée de la fac. Là se trouvais un porche, qui abritait quatre tables, entourées de bancs en bois, en plus de quatre autres bancs, indépendants, acculés aux murs. Et là, assise avec une bande d'amis, je reconnus la fille.

Nous SauverOù les histoires vivent. Découvrez maintenant