34a - I guess...

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« Tu connais la légende sur les enfants qui ne font pas leurs nuits ? me demanda Emman après avoir raccroché avec Ryan.

-Pas vraiment. »

Je finis la bouteille d'eau que j'étais en train de boire d'une traite. Emman soufflait le chaud et le froid, me donnant le tournis. Le fait de n'avoir couché avec personne depuis un bon moment rendaient mes hormones extrêmement sensibles. Elle mit son téléphone dans la poche arrière de son jean et se cala entre mes bras.

« C'est qu'ils pleurent pour éviter que les parents leurs fasse une petite sœur ou un petit frère... Je crois que Noah les prend en exemple.

-Je croyais que c'était Ryan.

-Non, c'était bien Noah. Ils ont échangé leurs téléphones par inadvertance.»

Elle glissa ses bras autour de ma taille, sa tête sur mon torse. Ses changements d'humeur étaient tellement bizarres. Et déroutants.

« Serre-moi dans tes bras, me demanda-t-elle en raffermissant sa prise. Serre-moi fort. »

J'obtempérai, bien que je sois de nouveau surpris. Je ne devrais plus l'être. Mais vraiment, Emman avait des réactions bizarres.

« Tu veux que je te raconte toute l'histoire ? Toutes les histoires ? »

Sa voix se brisa contre mon épaule. Mon estomac se tordit sachant parfaitement le pire. J'inspirai profondément avant d'hocher la tête. Elle délaissa mon corps pour s'assoir sur le fauteuil. Ses lunettes glissèrent sur son nez quand elle se pencha pour prendre son téléphone. Ses doigts parcouraient l'écran, lentement.

« C'est à ça que je ressemblais il y a cinq ans. ».

La photo qu'elle me montrait n'avait aucun sens. C'était Emman, je la reconnaissais. Je reconnaissais son visage et... Non. Il y avait seulement son visage qui avait quoi que ce soit avoir avec la Emman que je connaissais aujourd'hui. La fille sur l'image... Elle était d'une maigreur effrayante. Son visage anguleux, ses joues creusées, sa mâchoire pointue, ses épaules larges et raides, comme tirées par un bâton, ses bras faits uniquement de peau et d'os. Le reste de son corps se cachait derrière un long t-shirt gris et un pantalon noir. Je pris l'objet et agrandit l'image. Elle souriait à peine, la bouche fermée, une expression lasse sur le visage. Ses cheveux formaient une masse informe autour de sa tête, coupés à peine en dessous de ses oreilles. Et ses yeux... Ses yeux étaient complétement éteints, cernés comme je n'avais jamais vu de cernes avant. Et cette fatigue sur ses traits...

« Et ça, dit-elle en me reprenant le téléphone. C'était moi il y a... Quoi ? Trois ans peut-être ? »

La nouvelle photo me montrait le buste d'Emman énorme, comme gonflée à l'hélium. Son visage gonflé, ses joues pleines, son cou potelé, ses seins débordants de son t-shirt...

« Et ça, c'est ce que j'appelle l'horreur de ma vie. Entre ces deux photos et aujourd'hui... J'ai vécu l'enfer. ».

Elle haussa les épaules puis rangea l'appareil dans sa poche arrière Elle reprit place en face de moi, les jambes repliées sous ses fesses. Elle braqua son regard sur le mien avant de sourire.

« Et dans cet enfer, j'ai été assez bénie pour rencontrer Noah et Ryan. Ils m'ont sauvée. Et je les ai sauvés. Si ce n'étaient pas grâce à eux, je me serais déjà tuée. Et si ce n'était pas pour moi, eux aussi seraient déjà morts. »

Les yeux d'Emman débordaient de larmes. Je me sentais paralysé face à elle. Sa douleur était si puissante que je la ressentais. Une sorte de vibration sourde dans ma poitrine.

Elle s'essuya les joues, inspira grandement avant de reprendre :

« Je vais te raconter comment on s'est connu. Et pour ça, je suis obligée de te raconter un bout de leur vie. C'est un bout intime de chacun. J'ai demandé l'autorisation à Noah et il a bien voulu. Je ne l'ai pas demandé à Ryan, et je vais me détester pour ça. Mais je te fais assez confiance pour t'en parler. Mais il faut que tu me promettes de ne jamais prendre ce que je vais te dire pour l'utiliser contre eux. Jamais au grand jamais.

-Je te le jure. »

Les paroles sortirent de ma bouche par un murmure. Les photos d'Emman dansaient devant ma vision, m'annonçant que le pire arrivait. Il ne m'était pas compliqué de comprendre où allait cette conversation. Et ce qui était arrivé à Ryan et Noah. Et déjà, la nausée menaçait. Ce n'est que quand Emman approcha sa main de mon visage que je me rendis compte que je pleurais aussi.

« Je suis désolé, lui-dis et collant mes paumes contre mes yeux. C'est culoté de ma part alors que c'est vous qui avez vécu... Ça...

-Tu peux me demander d'arrêter quand tu veux.

-Non, je veux savoir, chuchotai-je en laissant tomber mes mains. Je veux savoir pour pouvoir t'aider. »

Emman repris mes doigts et les serra fort tout en me souriant.

« Après ce qui s'est passé, j'avais rendez-vous chez la psy trois fois par semaine. Après plusieurs mois en séances individuelle, elle s'est dit que peut-être ce serait bon pour moi d'être en séance de groupe. Parce que je n'étais pas vraiment loquace. Honnêtement je ne comprends pas comment elle a pu en arriver à cette conclusion. Je ne voulais voir personne, parler à personne et surtout toucher personne. Et n'être touchée par personne. Je voulais être avec personne. Et elle me jetait dans une salle pleine de monde. »

Emman tressait ses cheveux, le regard perdu.

« J'ai refusé d'y aller pendant des semaines. Ca a été la guerre entre la psy et moi et ma mère et la psy. Et j'avais déjà perdu beaucoup de poids. Beaucoup, beaucoup. Assez pour que ça devienne inquiétant pour ma mère. Alors elle s'est ralliée à la psy. Je me suis battue encore quelques jours mais me battre contre la psy seule, ce n'était pas possible. Alors j'y suis allée. Concrètement, on est en assis sur des chaises en cercle devant une hippie en pantalon violet qui nous raconte des trucs sur la violence de l'acte, le stress post traumatique, les crises d'angoisses, et tout un tas de chose qu'on vit quotidiennement. C'était tellement... Juste être dans la salle me faisait mal. Et puis à un moment faut parler. »

Emman grimaça, comme si elle avait léché du citron. Je lui pris la main, comprenant parfaitement l'effort que je lui demandais.



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Je ne commenterai pas sur tous ces mois passés. Sorry ! 

Nous SauverOù les histoires vivent. Découvrez maintenant