Chapitre 1

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Je me réveille tandis que tout est bruyant dans mon esprit. Comme une voix qui parle sans cesse mais qui ne me parvient que par des bourdonnements, des mots brouillés comme s'ils traversaient du coton.

J'éprouve une sensation étrange, comme un malaise. Je me sens compressée, repoussée fermement vers des abîmes sombres par une force invisible. Il fait noir et je ne peux rien faire. Je ne parviens pas même à percevoir mon corps.

Je hurle alors silencieusement, dans ma tête. Ce hurlement paraît presque résonner contre les parois de mon crâne. À mon plus grand étonnement, un silence de plomb s'installe.

Une voix parvient alors jusqu'à mes oreilles. Tous mes sens sont en alerte.

– Laissons-lui le temps de se réveiller. Cela risque d'être déboussolant pour elle, dit une voix de femme avec douceur à quelqu'un d'autre qui reste silencieux.

Où est-ce que je suis ? Que s'est-il passé ? Où est Mina ?

La panique me gagne tandis que le souvenir venant répondre à mes questions émerge et me coupe le souffle.

Mina est blottie contre moi. Nous sommes allongées sur notre campement de fortune, sous une couverture que je suis parvenue à voler tandis qu'elle séchait dans un jardin. Ça et une robe à la taille de Mina qui lui a mis des étoiles plein les yeux. Ce sourire m'a fait tant de bien. Le simple fait d'y repenser me réchauffe le cœur. Pourtant, bien que je m'efforce de ne pas y songer, je sais que la situation est grave. Plus grave qu'elle ne l'a jamais été.

Depuis ce jour où nous avons manqué de très près d'être prises par les envahisseurs, nous vivons sur le fil. Une semaine s'est écoulée depuis ce moment. Nous nous sommes repliées comme nous l'avons pu. La sensation d'être prise dans les fils d'une araignée ne me quitte pas. Au fond de moi, je pressens que le danger est plus présent que jamais. Il s'approche à chaque instant.

La fragilité de notre situation m'a poussée à prendre de plus en plus de risques. Je ne contrôle plus rien, bien que je fasse mon possible pour le cacher à Mina. À cette pensée, j'embrasse le sommet du crâne de ma petite sœur. Ne plus être en mesure de la protéger m'effraie. Ma petite sœur est tout ce qu'il me reste et je suis tout ce qu'il lui reste. Elle est ma responsabilité.

Un bruit retentit alors, saisissant dans ce silence d'église. Mon sang se glace tandis que je sens le souffle profond et régulier de Mina dans mon cou. Dans l'obscurité complète, j'entends le grincement de la vieille porte de la grange dans laquelle nous nous sommes abritées. Repliée dans un coin sombre de la pièce, je les vois alors. Ils sont trois : deux hommes et une femme. Ils ont des lampes et se mettent lentement à inspecter les environs. Ils avancent furtivement, en silence.

Au vu de la configuration des lieux, je sais déjà que nous ne pourrons par leur échapper. Il n'existe qu'une issue et nous ne serons jamais assez rapides. De plus, l'un des hommes  le plus massif  garde cette unique sortie de secours. Je sais que c'est fini. Après tous ces efforts, après ces années de fuite, c'est finalement terminé.

Je pense avant tout à Mina. Je ne veux pas qu'elle soit effrayée. Je les ai beaucoup observés, nos mystérieux envahisseurs. En dépit des actes horrifiants qu'ils commettent – ceux de voler nos corps pour les habiter  ils ne semblent jamais agir cruellement. Au contraire, quand bien même personne ne les observe, ils agissent toujours avec bienveillance. Jamais je ne les ai vu être violents avec qui que ce soit, l'un des leurs ou même un humain. Pourtant, j'ai assisté impuissante à plusieurs enlèvements de mes congénères. C'est toujours les humains qui sont violents – et à raison au vu de ce qui les attend. Mais les envahisseurs répondent pacifiquement à cette violence. Ils se contentent d'immobiliser les humains à l'aide d'une substance issue de leur technologie. Cela ne semble pas douloureux. A partir du moment où la brume touche le visage, on s'endort purement et simplement. En tout cas, c'est ce que j'ai pu en voir.

La fille et l'âme [Les Âmes Vagabondes]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant