Chapitre 26

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Les mains collantes de pâte, je pétris la pâte à pain avec autant d'énergie que je le peux. À côté de moi, Gaby en fait de même. Cependant, bien qu'elle tente de le cacher, je sens qu'elle fatigue. Mel m'a expliqué que ce corps était peu habitué à l'exercice avant que Gaby l'intègre et que cela oblige cette dernière à restreindre ses activités et ses efforts. Gaby s'évertue néanmoins à entraîner ce nouveau corps, mais ces choses là prennent du temps.

‒ Tu sais, tu peux souffler deux minutes, si tu veux, je lui dis.

‒ Non, ça va, réplique celle-ci.

Je n'insiste pas, imaginant très bien combien il doit être difficile pour elle d'admettre sa faiblesse, d'autant plus quand son précédent corps a été celui de Mélanie qui est si athlétique. Gaby et moi continuons donc à pétrir la pâte jusqu'à ce que je me mette à mon tour à fatiguer, ce qui devait bien arriver à force de déployer mon énergie sans aucune retenue.

‒ On fait une pause ? je propose alors à Gaby.

Elle acquiesce et nous buvons toutes les deux quelques gorgées d'eau avant de nous asseoir contre la paroi quelques minutes.

‒ Gaby ? je reprends après deux minutes de repos.

‒ Oui ?

‒ Je voulais te parler de quelque chose. De Rivière, en fait.

‒ Je t'écoute.

Gaby se tourne vers moi et attend patiemment que je reprenne.

‒ Je me demandais si elle te parlait de sa vie d'avant, quand vous êtes toutes les deux. De Vogue, notamment. Elle ne m'en parle jamais et, pourtant, je devine qu'il doit occuper ses pensées...

Je sens Gaby hésitante alors je m'empresse de préciser ma pensée.

‒ Je ne te demande pas de me révéler le contenu de vos conversations, rien de tel ! Rivière a le droit de ne pas tout me dire. Je sais bien qu'elle évitera de me dire certaines choses pour ne pas me faire culpabiliser, je la connais bien. C'est juste que je suis inquiète pour elle et elle ne me dit rien...

‒ Elle est toujours en phase d'adaptation, répond doucement Gaby. Tu sais, c'est difficile pour une âme de se retrouver ainsi parmi toute une bande d'humains, de sentir leur méfiance, de sentir qu'on est pas tout à fait à sa place...

‒ Je l'imagine bien, oui... j'acquiesce dans un soupir.

‒ Elle a perdu ses repères et c'est plus difficile pour elle de les retrouver, contrairement à toi. Tout le monde t'a accueillie à bras ouverts, May. Ça n'a pas été son cas. Tout le monde a beau tolérer beaucoup mieux les âmes depuis mon arrivée et celle de Soleil, il est toujours difficile d'accepter l'arrivée d'un nouvel individu de notre espèce...

J'acquiesce une nouvelle fois sans savoir quoi dire. Je suis consciente de tout ça mais, le problème, c'est que je n'ai aucun moyen d'action. Il n'y a rien que je puisse faire pour changer les choses.

‒ J'aimerais tant pouvoir l'aider, je souffle.

‒ Tu l'aides déjà, May. Par ta simple présence. Tu l'aides plus que tu ne l'imagines. Pour le reste, c'est à elle d'y travailler, rien qu'à elle. Ça passe par un deuil, celui de sa vie passée à l'extérieur, de tout ce qu'elle a perdu.

Je sais au fond de moi que ce n'est pas le cas, mais je me sens responsable des pertes que Rivière a du subir. Je me demande même parfois si elle n'aurait pas préféré être envoyée sur une autre planète, bien qu'elle m'ait toujours assurée qu'elle n'avait aucun désir de quitter cette planète. Mais si cette nouvelle vie la décevait ? Si la perspective d'une vie ici était à l'opposé de tout ce qu'elle imaginait ? Si c'était le cas, jamais Rivière ne me l'avouerait, car elle ferait tout pour me protéger de toute culpabilité.

La fille et l'âme [Les Âmes Vagabondes]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant