La fille et l'âme [Les Âmes Vagabondes]

Chapitre 46

Je suis morte d'inquiétude quand Rivière revient enfin. Elle a été partie longtemps, plus longtemps que prévu. Je suis rassurée pendant quelques secondes quand je la vois passer le pas de la porte, puis je suis à nouveau submergée par une vague d'inquiétude quand je constate son visage décomposé. Ses joues sont rouges et son regard fuyant.

Je me doutais bien que mon amie aurait le cœur brisé après avoir revu Vogue. Je l'ai uniquement laissée faire parce qu'elle désirait le revoir plus que tout au monde et que rien de ce que j'aurais pu dire n'aurait pu la réconforter. Mais ce que Rivière semble ressentir en cet instant, c'est encore tout autre chose qu'un cœur brisé.

J'ai subitement un très mauvais pressentiment.

Quelque chose ne va pas. Quelque chose ne va vraiment pas.

– Rivière ? l'interrogé-je dans une voix où elle doit percevoir le désarroi.

Mon amie referme doucement la porte derrière elle. Elle met un petit temps avant de se retourner vers moi. Quand elle le fait, je vois que son visage s'est recomposé. Je la questionne du regard. Elle fait énormément d'efforts pour rester maître d'elle-même et cela est loin de me rassurer.

– Est-ce qu'on peut parler toutes les deux, May ? me demande-t-elle, invitation subtile à s'éclipser pour Tom.

Je regarde Tom qui hausse un sourcil méfiant mais qui s'exécute néanmoins en se dirigeant vers la salle de bain pour nous laisser parler toutes les deux. Les murs sont cependant assez fins et, si Rivière veut vraiment n'être entendue que par moi, il va lui falloir parler à voix basse. Je devine qu'elle a le même cheminement de pensée car elle s'approche de moi et m'invite à m'asseoir à côté d'elle sur le lit, puis elle commence à chuchoter.

– J'ai quelque chose de très important à te dire. Avant que je te raconte tout, promets toi que tu m'écouteras jusqu'au bout. Je t'en prie, May. J'ai besoin que tu sois compréhensive.

– Tu me fais peur, Rivière.

– Promets le moi, May.

– D'accord, je te le promets. Maintenant, raconte-moi tout avant que je devienne folle.

Elle inspire un bon coup avant de commencer à me raconter. Je perçois l'émotion dans ses chuchotements.

– J'ai vu Vogue, comme prévu. Il était là, sur scène, et je ne pouvais pas détacher mon regard de lui. A une période, j'ai vraiment pensé ne jamais le revoir. J'en ai pourtant tant rêvé, de nos retrouvailles. Une fois la représentation finie, je n'ai pas pu me résoudre à rentrer immédiatement. J'ai attendue à l'extérieur, espérant le revoir ne serait-ce que quelques secondes.

Je m'arrête de respirer un instant. Elle lui a parlé, j'en suis certaine. Sauf qu'avant de partir, elle m'avait promis qu'elle ne tenterait pas de l'approcher. Elle connaissait les risques et nous en avions longuement discuté. Je n'en reviens pas que Rivière, ce petit oiseau parfois si fébrile, ait osé prendre un tel risque. Elle qui est habituellement si mesurée...

Fiévreusement, j'attends la suite.

– Il a fini par sortir, en compagnie d'autres membres de la troupe. Encore une fois, je ne pouvais pas le lâcher des yeux. Je t'assure, May. J'étais comme pétrifiée. Il a fini par me repérer et est venu me voir. Je me suis rendue compte beaucoup trop tard de l'erreur que j'avais faite. Je m'en excuse sincèrement auprès de toi.

Je balaye ses excuses d'un geste. Nous en parlerons plus tard. Je l'incite à poursuivre parce que je n'y tiens plus : il faut que je connaisse le fin mot de l'histoire. Je dois savoir si nous sommes en danger ou pas. Je dois le savoir dès maintenant.