Chapitre 13

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Tandis que je reprends doucement conscience, ma tête semble peser de plus en plus lourd. Les sensations que j'éprouve me paraissent étrangères. Je sens tout de suite que quelque chose ne va pas, avant même d'avoir des informations sur ce qui m'entoure.

Un chuchotement autour de moi met tout mon esprit en état d'alerte. Je ne parviens néanmoins pas à comprendre un seul mot prononcé, mon cerveau est encore si confus.

« Rivière ? » j'appelle mentalement. « Que se passe-t-il ? »

J'attends mais aucune réponse ne me parvient. Le silence de plomb dans mon esprit est glaçant. Je me mets à chercher la présence de Rivière dans mon esprit mais je ne la trouve nulle part. C'est impossible.

C'est elle qui est censée chercher ma présence, habituellement, pas l'inverse. C'est ma conscience qui s'évapore normalement, pas la sienne. Elle a les rênes de notre corps et, par définition, elle ne peut pas s'en éclipser. Quelque chose ne va vraiment pas.

Que diable s'est-il passé pendant tout ce temps où j'ai été absente ? Que m'est-il arrivé, d'ailleurs ? Je n'ai aucun souvenir. Pas un seul, pas même une sensation.

– Vous m'entendez ? demande une voix d'homme avec douceur.

La voix est très proche de moi et ne m'est pas familière. Son entente me surprend puis m'effraie.

– Vous êtes en sécurité, continue-t-il tandis que je panique intérieurement. Votre corps est de nouveau entièrement le votre. Tout va bien se passer. Vous pouvez vous réveiller.

Le sens de ces paroles met un certain temps à m'atteindre. Habituellement, j'interprète toutes les paroles extérieures comme s'adressant à Rivière. Mais cela n'a pas de sens, dans cette situation. Comment ça, son corps est de nouveau entièrement le sien ? Je suis toujours là, donc ce ne peut pas être vrai.

Et si ces mots s'adressent en réalité à moi ? Je suis frappée de stupeur. Si l'homme s'adresse à moi, May, l'humaine, cela voudrait dire que... Non, je ne peux pas croire cela. Je ne le veux pas.

Ne supportant plus de rester dans l'ignorance de la situation, j'achève de me réveiller. Mes yeux s'ouvrent brusquement. Je rechigne à peine face à la luminosité qui frappe mes pupilles. Ma vision est floue.

« Quoi ?! » je veux demander, mais aucun son ne sort de ma bouche. À la place, je me mets à tousser. Ma gorge est douloureuse et je grimace. Je sais que le fait même que je ressente cette sensation aussi pleinement n'est pas normal.

L'homme que je commence à percevoir à travers ma vision floutée me tend une gourde en souriant. Il la place devant ma bouche et j'accueille avec réconfort la fraîcheur de l'eau dans ma gorge, bien que je lui trouve un goût étrange.

– Vous voilà revenue parmi nous, constate l'homme avec un grand sourire.

Une fois que j'ai fini de boire, je tourne vers l'inconnu un regard empli de détresse. Celui-ci recouvre son sérieux et m'observe avec inquiétude.

– Quelque chose ne va pas ? me demande-t-il avant de se répéter. Vous êtes en sécurité. Vous êtes vous-même à nouveau. Il n'y a plus rien à craindre.

Je devine que ses mots ont vocation à me rassurer, mais ils ont l'effet inverse. Je sens la panique me gagner de façon croissante. L'homme me contemple avec incrédulité. Il ne comprend pas ma réaction.

– Rivière, j'appelle à voix haute, sans me préoccuper de ce que peut penser cet inconnu.

L'homme fronce les sourcils alors que je réitère mes appels plusieurs fois. Mon ultime appel s'achève dans un murmure. Je suis seule. Mes efforts sont vains, je l'ai perdue. J'ai perdu mon amie. J'ai repris contrôle sur mon corps mais je suis désormais seule...

La fille et l'âme [Les Âmes Vagabondes]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant