03. manque.

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— Merde, Annekee murmure en se redressant sur la banquette arrière du taxi. Monsieur, je suis vraiment désolée, est-ce que vous pouvez me déposer à la blanchisserie sur Van Woustraat, s’il vous plaît ?

Le conducteur approuve d’un hochement de tête rapide, et change de direction. Heureusement, il ne semble pas trop ennuyé de devoir modifier son itinéraire. Annekee laisse retomber sa tête contre la vitre du siège et souffle. Ça fait bientôt deux mois qu’elle a dû quitter Utrecht pour vivre à Amsterdam. Elle s’est très rapidement adaptée à la ville, mais en ce qui concerne le reste, il s’agit d’une autre histoire. Elle s’est inscrite à l’université d’Amsterdam, et elle travaille tous les soirs dans un restaurant pour gagner un peu d’argent. Ce n’est pas un cinq étoiles, mais la femme qui le dirige—Ernestina—est comme une mère pour elle.

— Merci encore, Annekee esquisse une moue d’excuses une fois qu’ils arrivent devant la blanchisserie. Je reviens dans deux minutes.

Elle se précipite dans la laverie, trébuchant presque sur le trottoir sous le coup de la précipitation. La robe hors de prix de Leen est à l’intérieur, attendant juste d’être récupérée. Le propriétaire sourit en voyant Annekee, et lui tend l’espèce de sachet gris après avoir pris son ticket. C’est la même chose tous les week-ends ; Annekee erre de taxis en taxis pour faire les courses—des blanchisseries, aux supermarchés, en passant par les magasins de bijoux et le reste. Elle n’a pas à payer ses frais scolaires et le logement alors en échange, elle est obligée de s’occuper du ménage, de la cuisine et des commissions.

Le chauffeur de taxi l’attend toujours quand elle sort. Annekee lui indique l’adresse de son nouveau domicile et essaye de ne pas froisser la jolie robe de Leen en montant dans le véhicule. Elle ne sait même pas pourquoi sa grande sœur a besoin d’une nouvelle tenue—elle en possède au moins une centaine dans ses placards. Rien ne justifie cet achat compulsif, surtout que c’est une robe de grand créateur. D’ailleurs, pourquoi lui faut-il un nettoyage à sec alors qu’elle n’a jamais été portée ? Annekee a vite appris à ne pas demander ; ça n’aurait toujours pas de sens à ses yeux.

— Leen ! J’ai ta robe, Annekee déclare en entrant dans la villa.

Elle déteste vraiment cet endroit. Elle est habituée au désordre de la maison de son père et non à une demeure de trois étages pouvant accueillir six voitures dans le garage. Dire que la maison de Sigrid et Leen est immense serait un euphémisme. L’ensemble du lieu a été conçu par un ‘professionnel’ et ça met Annekee mal à l’aise. Tout est si froid et impersonnel.

— Ah, t’es enfin là ! Leen lance en descendant les escaliers. Qu’est-ce qui t’a pris autant de temps ?

Heureusement, Annekee peut échapper à ses jérémiades car elle semble apercevoir la robe. Elle se précipite alors en bas, les yeux brillants et l’arrache presque de ses mains.

— Tu l’as prise !

— Évidemment que je l’ai prise, Annekee marmonne, car ça n’a pas été une partie de plaisir. Pourquoi t’as besoin d’une nouvelle robe ?

— C’est pas tes affaires, Leen aboie presque, et Annekee arque les sourcils.

Leen est mesquine et impolie, même avec les gens qu’elle rencontre pour la première fois. Annekee ne peut pas s’empêcher de penser que c’est parce que Sigrid l’a élevé.

— Peu importe, Annekee souffle, puis elle commence à monter les escaliers.

Elle ne prête plus attention à la robe ni à ce que Leen veut. Elle souhaite juste dormir desormais. Annekee est debout depuis cinq heures du matin et elle doit se rendre au restaurant un peu avant dix-huit heures pour travailler. Depuis qu’elle a emménagé à Asmterdam, elle n’a pas eu une véritable nuit de sommeil. Elle passe la plupart de ses soirées à se retourner dans son lit. Jusqu’à présent, sa plus longue nuit de sommeil a été de cinq heures, mais normalement, elle n’en dort que trois.

— Tu vas où ? Leen demande au moment où les converse de Annekee atteignent la dernière marche. Maman va arriver en retard et j’ai super faim. Prépare-moi à manger.

— Commande une pizza, Annekee rétoque, agacée.

Leen est trop choquée pour répondre quoi que ce soit. D’habitude, Annekee prépare le dîner, même quand Sigrid est à la maison et ne fait absolument rien. Elle aime cuisiner, mais pas quand on lui ordonne de le faire ce qui est toujours le cas. C'est sa vie ; elle rentre de l'école, travaille et fait la bonne pour sa sœur et sa mère—elle déteste ce mot. Annekee est épuisée depuis deux mois.

Elle se laisse retomber sur son lit et soupire. Sigrid a eu la gentillesse de la laisser prendre quelques unes de ses affaires avant le déménagement deux mois plus tôt. Sa chambre ressemble un peu à celle de Utrecht ; un bureau est poussé dans un coin et est couvert de papiers—différentes choses comme des coupures de magazines, des articles de journaux et des listes de choses à faire. C’est désorganisé mais rangé. Les murs sont blancs et bordés de photos. La plupart sont des clichés de Jantje et d’elle prises en ville et surtout, lors de leurs vacances à Barcelone. Le reste, ce sont des photos de Gustaaf et elle.

Annekee ferme les yeux, sentant les larmes affluer sous ses paupières. Son père lui manque terriblement, et à chaque fois qu’elle respire, ses poumons brûlent et la souffrance l’étreint.

KETTING┃m.de ligt (✓)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant