18. blessure.

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— Salut.

Matthijs pose la carte du menu sur la table en reconnaissant le timbre de voix de Annekee. Lorsqu’il se retourne, ce n’est pas les lèvres colorées de la jeune femme qui attirent son attention, ni sa tenue apprêtée qui le captive. Matthijs ne distingue plus que le cocard énorme qui assombrit son oeil, sa mine défaite et son regard fuyant. Ses traits se tirent, et il sent aussitôt la colère et le chagrin le submerger. Qui a bien pu lui faire une chose pareille ?

— Bordel, Matthijs jappe en attrapant son visage dans la coupe de ses mains. Qu’est-ce qui est arrivé à ton oeil ? 

Annekee frissonne à son contact, détourne le regard pour ne pas croiser ses yeux métalliques. Elle cherche ensuite à se dégager au plus vite de son étreinte en s’asseyant face à lui. Matthijs pince les lèvres en la regardant retirer son manteau avant de le poser sur le dos de son siège. Sa colère redouble davantage tandis qu’elle hausse les épaules, nonchalante. 

— Une allergie, c’est rien du tout. Ça va ?

Matthijs claque sa langue contre son palais, comme un fouet dans l’air, pour lui signifier son mécontentement. Comment peut-elle se montrer aussi insouciante alors que la situation est grave ? Une personne—non, un être abominable—lui a fait du mal, et elle ment délibérément en plus de se comporter comme si tout était parfaitement normal. Car il est certain que Matthijs n’a jamais entendu parler d’allergies qui provoquaient des yeux au beurre noir. 

— Annekee. Réponds-moi, s’il te plaît.

— Tu as déjà commandé ? Annekee saisit le menu, déterminée à l’ignorer et à détourner la conversation au plus vite. J’ai vraiment envie de manger des crêpes au stroop, pas toi ? Ca fait des mois que je n’en ai pas goûté. Depuis que j’ai quitté Utrecht et ma meilleure amie, en fait. On avait l’habitude d’en prendre une tous les jours sur le chemin du retour, quand on allait au lycée. Tout ça me semble tellement loin désormais.

Elle lâche ensuite un petit rire nerveux, son visage étant imprégné d’une nostalgie douloureuse. Même si elle tente de faire bonne figure, Matthijs n’est pas dupe. Il perçoit sa souffrance et son désarroi, Annekee semble complètement bouleversée. Il veut à tout prix lui venir en aide, soulager ses maux. Matthijs capture alors ses mains dans les siennes, serre ses doigts plus fort. Il prend une profonde inspiration, avant de se lancer, l’air plus sérieux que jamais. 

— Annekee. Si quelqu’un te fait du mal, tu sais que tu peux me le dire ? Non, en fait, tu dois absolument me le dire. C’est de ta santé, et de ta vie dont il est question. 

Annekee retire tout d’un coup ses mains, comme si le contact de Matthijs avait brûlé sa peau. En voyant sa bouche se tordre et son visage se fermer, le capitaine de l’Ajax Amsterdam comprend qu’il vient de l’énerver. Confus par son rejet brutal et frappé par son regard furieux, il se mord l’intérieur des joues. 

— Personne ne me fait du mal, Matthijs, Annekee siffle, excédée et irritée. Je t’ai dit que c’était juste une allergie, pourquoi tu ne veux pas comprendre ?

—  D’accord, très bien, Matthijs finit par capituler, contrarié par son obstination.  
 
Cependant, il ne peut pas se résoudre à vraiment abandonner. Ca le démange au plus haut point de connaître l’identité de son agresseur. Matthijs se fiche de paraître trop insistant, ou de mettre Annekee dans une position délicate dans laquelle elle pourrait se sentir mal à l’aise. Son inquiétude pour elle est beaucoup trop puissante pour être canalisée. Si le monstre qui l’a frappé l’a fait une fois, il est tout à fait en mesure de recommencer. Il veut juste la protéger. 

— Pourquoi tu étais si pressée de partir si tôt le soir de notre rencontre ? Matthijs cherche à la sonder du regard. Tu te souviens, à l’Escape, tu semblais tellement paniquée d’un coup, comme si quelque chose de terrible allait se produire si tu ne retournais pas vite chez toi.

Il réalise qu’il vient tout juste de toucher un point sensible. Annekee perd pied, comme prise au piège. Pourtant, elle ne se laisse pas démonter et ses paupière se plissent. 

— J’avais un couvre-feu parce que, figure-toi que je ne suis pas un footballeur pété de thunes, qui vit dans un immense appartement tout seul, et qui peut faire absolument tout ce qu’il désire, avec qui et quand il le désire ! 

— Alors c’est seulement comme ça que tu me vois ? Matthijs esquisse un sourire désabusé, puis il secoue la tête. Juste comme un footballeur pété de thunes ? 

Annekee paraît totalement désemparée, de grosses larmes menacent de jaillir de ses yeux bleus. Matthijs se doute bien que ses mots ont peut-être dépassé sa pensée, mais il ne peut pas continuer leur rendez-vous tout en sachant que Annekee ne se sent pas bien avec lui. Il ne lui demande pas de lui raconter toute sa vie de A à Z—même si ça ne lui poserait aucun problème—, il veut juste s’assurer qu’elle n’est pas soumise à un environnement toxique. Mais sa sollicitude ne semble pas bien accueillie.

— Je vais te ramener chez toi, Matthijs déclare en se redressant. Je suis désolé, je vois bien que ça t’embarrasse, je n’aurai pas dû tant insister pour qu’on se revoit une deuxième fois. 

— Matthijs, non, je suis vraiment désolée, je…, Annekee le supplie, la voix étranglée, et elle ne retient plus ses larmes. Ne pars pas, s’il te plaît. Tu es bien plus pour moi que… 

Elle est vraiment au bord du rouleau, plonge son visage tuméfié à l’intérieur de ses paumes pour éviter que les autres clients du bistrot la voient s’effondrer. Matthijs sent son cœur le faire douloureusement souffrir à cette vision, et il ne peut pas s’empêcher de s’approcher d’elle pour la prendre dans ses bras. Ça a dû être la goutte d’eau qui a fait déborder le vase de tout ce que Annekee a encaissé ces dernières heures, et c’est à cause de lui que ce vase s’est brisé. Matthijs déteste la voir pleurer, recroquevillée sur elle-même, malheureuse. C’est juste une vue insupportable.

— OK, tout va bien, Matthijs tente de la consoler. Respire.

— Pardonne-moi, Annekee sanglote, et il hoche la tête en essuyant ses larmes.

— Ca va, je te le promets. J’ai vraiment envie de manger des crêpes au stroop moi aussi.

KETTING┃m.de ligt (✓)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant