25. gourmette.

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— Maman a toujours refusé que je prenne contact avec vous après le divorce. 

Les doigts de Annekee se crispe autour de sa tasse de thé. Leen a la voix tremblante, mais elle fait en sorte de se tenir dignement tandis qu’elle parle. Après leur départ en trombe de la maison de Sigrid, elles se sont rendues en voiture jusqu’au De Ver Pilaren. Annekee devait assurer son service, et de toute manière, elles avaient besoin de discuter toutes les deux dans un endroit serein. Sans compter que Ernestina les a forcé à rester chez elle—même Leen—jusqu’à ce qu’elles trouvent une solution. 

— Elle arrêtait pas de me mettre des sales idées dans la tête, Leen reprend après avoir pris une longue inspiration. Elle racontait que Gustaaf se fichait bien de moi, de mon sort, qu’il te préférait et que c’était pour cette raison que je vivais avec elle au lieu d’être restée à Utrecht avec vous deux. Puisque je ne vous voyais jamais, j’ai fini par croire à toutes ces conneries. Ou en tout cas, je faisais en sorte de me persuader que j’y croyais.

Leen laisse échapper un rire amer, puis baisse les yeux sur ses mains jointes sur la table. 

Sigrid et Gustaaf ont divorcé après onze ans de vie commune, sous l’impulsion de Sigrid. Cette dernière a prétexté que son mari mettait un frein à sa carrière, en poursuivant la sienne. Il parcourait sans cesse le monde pour son travail, alors il n’était soit disant pas assez présent pour leurs filles. Sigrid n’avait donc pas le temps de s’occuper d’elle-même, c’est pourquoi elle avait décidé de prendre une de ses filles avec elle—la pension alimentaire oblige—lorsqu’elle avait quitté le domicile conjugal. Gustaaf a été ravagé pendant des années à cause de cette rupture. La preuve, il n’avait souhaité s’engager avec aucune autre femme tellement il était resté sous la coupe de cette sorcière. 

Annekee se demande encore aujourd’hui comment un homme aussi bon, droit et généreux que son père a pu tomber amoureux de ce monstre. 

— Mais j’ai toujours gardé la gourmette de Gustaaf à mon poignet, malgré le fait que Maman me faisait vivre l’enfer sur terre. J’imaginais que vous étiez heureux tous les deux, que vous aviez oublié mon existence, et ça me rendait folle. Je m’en voulais tellement de penser encore à vous, d’être aussi faible.

Leen dit toutes ces choses en caressant le bracelet en argent à son poignet droit. Annekee la reconnaît comme étant la gourmette de baptême de leur père, qui apparaît sur pratiquement l’ensemble des photos relatant son enfance. Comme elle a son collier avec la croix de Gustaaf, sa grande soeur a également une partie de lui sur elle. Elle s’en veut terriblement d’avoir pu penser que Leen était indifférente à la mort de leur père. 

— Je l’ai vu, ici, à Amsterdam, quelques mois avant son décès. J’aurai pu le reconnaître même dans un stade de soixante mille personnes. Il portait une chemise à carreaux, souriant tandis qu’il se baladait dans la rue. Puis il est entré dans une boutique de vêtements pour femme, et il a choisi un sweat-shirt. Tu sais, le bleu, que tu portes souvent et que t’as ramené avec toi de Utrecht. Je l’ai suivi pendant une heure, comme une idiote. Ça m’a mis tellement en colère, si tu savais. Il était heureux, achetait des habits pour une de ses filles, pendant qu’il ignorait l’autre, Leen termine, au bord des larmes. 

— Leen, Annekee cherche à l’interrompre, parce qu’elle sait qu’elle se trompe en ce qui concerne les sentiments de Gustaaf à son égard. Tu… 

— Non, attends. Quelques semaines après l’enterrement, Bras m’a donné un carton sur lequel mon nom était écrit. Il l’avait trouvé chez vous, enfin dans notre ancienne maison. C’était un carton rempli de lettres, elles m’étaient toutes destinées. J’ai passé des heures et des heures à les lire, et je me suis dit que, peut-être bien que Gustaaf m’aimait moi aussi, et qu’il ne voulait pas qu’on soit séparés. 

Annekee saisit la main de sa grande soeur, profondément touchée par ses paroles. 

— Bien sûr qu’il t’aimait, Leen. Tu, tu étais vraiment importante pour lui. Papa a pleuré tous les soirs pendant des mois quand vous êtes parties, Sigrid et toi. Il a essayé de reprendre contact avec elle pendant des années, juste pour pouvoir t’atteindre, mais toutes ses tentatives ont échoué. Quand il riait, ses yeux étaient toujours teintés d’une lueur triste. Ton absence le rongeait tous les jours. 

Leen laisse ses larmes couler tandis qu’elle serre plus fort les doigts de sa benjamine. Sa chaleur réconfortante est peu familière, mais elle est certaine qu’elle lui deviendra bientôt indispensable. Les remords et la peine déforment son si beau visage alors qu’elle sanglote. 

— Je suis vraiment désolée pour tout, Anne. 

— Ça me rend heureuse que tu me parles de tout ça, Annekee secoue la tête, et un sourire prend place sur ses lèvres malgré les gouttes d’eau qui commencent également à brûler ses paupières. Et merci pour avoir pris ma défense tout à l’heure. Tu ne sais pas à quel point j’avais besoin d’une main amie.

Leen lui chuchote que ce n’était rien, et qu’elle n’a plus à s’en faire par rapport à Sigrid. Pendant un court instant, elle lâche la main de sa petite soeur pour sécher ses larmes. Une fois les traces de sa triste disparues, elle récupère ses doigts entre les siens, et la couve d’un regard protecteur. Annekee se sent si légère, si soulagée, qu’elle ne peut s’empêcher de fixer leurs membres liés, comme s’il s’agissait d’un rêve. Elle enviait tellement la relation qu’entretenait Matthijs et sa fratrie. Peut-être bien qu’elle aura l’occasion d’en bâtir une semblable avec Leen. 

— Je regarde des annonces pour louer un appartement depuis plusieurs semaines, Leen déclare, et perce dans son ton un peu d’appréhension. Je vais en visiter un dans quelques jours. Est-ce que tu veux venir vivre avec moi ? On a tellement de temps à rattraper toutes les deux. 

Annekee sourit simplement. 

— Seulement si tu me promets que je serais pas obligée de faire les tâches ménagères toute seule.

KETTING┃m.de ligt (✓)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant