Iris Becquerel ignore tout de ses parents et se pense orpheline. Alors quand son parrain revient de Paris en panique pour lui apprendre qu'il l'emmène voir sa mère, elle pense son monde basculer.
Mais elle est bien loin de s'imaginer que son voyage...
Le vent soufflait sur leurs visages rouges de leur course effrénée. Leurs cœurs battaient à l'unisson toujours plus vite. Parfois, leurs regards se croisaient... Mais la nuit sombre les empêchait de constater l'angoisse dans leurs yeux ; tant mieux. Un point de côté s'abattit sur la femme qui porta d'instinct ses doigts sur son ventre, tandis que son corps se pliait en deux. Elle s'arrêta brutalement, suivie par l'homme qui la tirait par la main. Inquiet, ce dernier se pencha pour l'inciter à continuer malgré tout, encore un peu. Juste un peu ! Ils percevaient bien trop clairement leurs poursuivants. Mais un signe de tête de sa part à elle l'avertit qu'elle n'y arriverait plus. Tous ses membres tremblaient, de froid, de faim, de peur. Ses jambes n'y parvenaient plus. Il s'agissait déjà d'un miracle qu'elle réussît à courir aussi loin.
– Accroche-toi !
D'un geste autoritaire, il passa ses bras autour de son cou avant de la soulever sans effort. Frêle et affaiblie, celle qu'il aimait ressemblait à un oisillon tombé du nid. Ses craintes se muèrent en fureur tandis que ses longues jambes reprenaient leur inlassable ballet et mangeaient les mètres à nouveau. La porter le ralentirait, il allait devoir réfléchir à une échappatoire. La sauver, elle. Lui pourrait bien périr dans les flammes de cet enfer, tant qu'elle demeurait en sécurité, il n'en avait cure.
– Je... – Chut, nous parlerons plus tard, chuchota-t-il, le cœur serré.
Ses grands yeux fatigués, enfoncés dans leur orbite, aux cernes de plusieurs semaines de souffrance, le torturaient déjà bien assez. Des larmes menaçaient de le submerger. Une balle qui siffla au loin le rappela à l'ordre : ceux qui leur courraient après n'étaient pas du genre à faire du bruit ! Mais comment parvenaient-ils à tirer avec cette visibilité proche de zéro ? Il pesta en son for intérieur avant de bifurquer d'un coup sur le côté.
– Je...
Le souffle ténu qu'il perçut soudain l'empêcha de réfléchir une brève seconde. Ses mains vérifièrent d'instinct qu'elle respirait encore, que son cœur battait, qu'elle demeurait avec lui. Il craignait tellement de la perdre ! Quel idiot ! Dans un geste de gamin, ses bras se raffermirent autour du corps maigre de l'ancienne captive. Sans même s'en rendre compte, il accéléra le rythme de ses enjambées. Sa course n'avait plus rien de naturel, le temps parut suspendu dans les environs, son avancée semblait celle d'un djinn qui survolait un désert aride.
L'homme ne sentait plus l'air froid qui cinglait sa peau dévoilée par ses vêtements déchirés, seule la chaleur de la femme contre lui l'obnubilait. Le sang qui pulsait à ses oreilles était volontairement ignoré. Ses yeux qui voyaient de plus en plus pâle, flou et mal, furent remplacés par son nez qui recherchait soit une zone plus humide soit celle du bitume ou d'un feu de cheminée. Et après une éternité d'incertitude, il réussit à percevoir une lueur d'espoir : un endroit abrité. Ses pieds nus, écorchés, glacés, insensibles, le conduisirent dans cette direction.
Leurs deux corps épuisés et sales s'entremêlèrent au sol, celui de la femme toujours protégée par son compagnon d'infortune.
Il se reposa à peine une heure, incapable de sombrer dans un quelconque sommeil réparateur. Celle entre ses bras dormait profondément. Dans un geste empli de gratitude envers ce fichu Destin, il se pencha sur son front pour l'effleurer de ses lèvres. Cette fois, il fut impuissant de retenir ses larmes qui noyèrent bientôt ses joues.
– Je te protégerai... Cette fois, je te le jure, personne ne te fera de mal...
Courbaturé, il se releva non sans difficulté, car il se refusait de la lâcher. Épuisé, il se remit à marcher, puis courir, incapable de s'imaginer la voir se faire capturer de nouveau. Affamé, il ignora cette partie de son corps à dessein, retrouvant ses vieilles habitudes pour mieux survivre. Furieux, contre lui, contre eux, il utilisa cette force afin de propulser son corps vers l'avant, toujours plus loin, de plus en plus vite.
L'aube se levait. Et avec elle, les ombres s'allongeaient. La jungle autour d'eux reprenait vie. Difficile de savoir où ils se trouvaient. Ses connaissances de naturaliste laissaient à désirer... La mâchoire serrée, ses sourcils froncés, il changea de direction. Au loin, il venait de percevoir une couleur inhabituelle dans cet environnement vert et marron. Sans doute que cette vieille cabane dans laquelle ils s'étaient reposés n'avait pas été bâtie là par hasard ! Dans un entrain mêlé d'espoir et de crainte, il bondit vers ce qu'il supposait déjà être un village d'indigènes.
– Par pitié, au moins elle !
Prier qui ? Il ne savait pas. Peut-être le Destin, encore une fois. Ses bras serrèrent la femme contre son torse alors qu'il voyait au loin les toits en chaume, signe de salut pour leurs deux carcasses épuisées. Un élan de reconnaissance le submergea tandis qu'il ralentissait juste assez pour ne pas effrayer les autochtones. Bien lui en prit, car un groupe de ce qu'il considéra comme des chasseurs surgirent devant lui peu après, leurs longues sarbacanes plantées au sol tel des lances. Dès qu'ils ouvrirent la bouche, l'homme grimaça. Impossible de les comprendre...
Pour la première fois de sa vie, il s'agenouilla, le regard implorant, la femme contre lui mise en avant comme seule preuve de son désespoir. La fatigue et la terreur se mélangeaient dans son esprit enfiévré, il ne savait plus ce qu'il devait faire, ni comment le faire. Son corps le lâchait. Il s'évanouit dans sa position, ses bras toujours fermement serrés autour d'elle.
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