Héritage

4e Traversée : Protection

          Toujours effondrée sur le corps de Huàn Hóng, Iris reniflait. Ses larmes avaient fini par se tarir, son esprit se calmer et ses pensées retrouver leur cours habituel... Du moins si ce point pouvait vouloir dire quelque chose, compte tenu des derniers événements. Blessée, frigorifiée, au chevet d'un cadavre, dans un lieu inconnu, à une époque indéterminée, quoi de plus « normale » comme situation, hein ?

          La jeune fille se redressa, ses doigts toujours entremêlés à ceux de cet anonyme, à jamais silencieux. Il continuait malgré tout de la fixer, de ses yeux vitreux, et son ultime volonté résonnait encore à ses oreilles. Elle n'avait même pas réussi à articuler quoi que ce soit pour le réconforter ! Des larmes montèrent au bord de ses paupières et menaçaient de cascader sur ses joues, tandis qu'elle rajoutait son autre main autour de celle de ce pauvre homme. Que lui avait-il dit, déjà ? Iris essaya de rassembler ses pensées et lui répondit enfin dans un souffle rauque.

– Moi, Iris Becquerel accepte que vous soyez mon Kra, Huàn Hóng. Et je m'excuse de n'avoir rien pu faire pour vous sauver...

          Le souvenir de Sam demeurait bien trop vivace en elle pour qu'elle parvînt à se pardonner le trépas de cet inconnu. Elle allait le relâcher et terminer de le camoufler sous les feuilles mortes, quand une puissante lumière jaillit du cadavre. Iris se recouvrit le visage de ses bras d'instinct, même si elle luttait pour regarder malgré tout. Sa curiosité fut récompensée lorsqu'elle contempla les premières volutes de fumée, à la forte lueur intérieure, qui en émergea. À mesure qu'elle se condensait au-dessus de l'homme, son corps retrouvait son éclat terne précédent.

          Pendant un moment qui sembla durer une éternité, la jeune fille admira l'étrange nuage lumineux sous ses yeux. Ni le vent glacé, ni l'humidité du sol, ni l'odeur de terre qui l'environnaient ne la détachèrent de ce spectacle incroyable. Agenouillée, les bras ballants, elle n'osait pas bouger de peur d'effrayer cette chose indéfinissable. Cette entité qui continuait de briller telle une étoile se rapprocha alors d'elle en lents mouvements ondulatoires. Iris eut l'impression de contempler de l'eau qui s'écoulait à travers les serpentins d'un champ labouré. Et sans même s'en rendre compte, l'une de ses mains se tendit vers lui, un doigt dressé dans l'espoir de toucher cet élément immatériel éclatant. À son geste anodin, un tentacule de l'amas informel se détacha pour s'allonger à son tour dans sa direction, en une longe liane, comme pour lui répondre. La peau du bout de son index sentit une légère chaleur lorsqu'elle rencontra ce drôle de phénomène s'enrouler tout autour, comme les tiges de lierre.

– Qu'est-ce que...

          À peine commença-t-elle à poser sa question, que l'étrange excroissance s'infiltra par son doigt dans son corps. Une vague d'angoisse afflua vers ses lèvres et elle aurait bien crié si un souffle était parvenu à atteindre sa gorge. Le choc et le manque d'air la firent tourner de l'œil. Elle s'évanouit de nouveau...

– Iris ?

          Ses paupières papillonnèrent. Elle ne reconnaissait pas cette voix...

– Iris ? Il faut vous lever, vous n'êtes pas en sécurité, ici.

          Son regard léthargique trahissait son esprit encore engourdi. Il passa du corps froid sous elle, à la colline forestière illuminée par le soleil, pour enfin tomber sur un homme habillé d'une drôle de tenue bleue. Elle fit l'effort de relever la tête, non sans peine, vers son visage, difficile à contempler puisqu'il était positionné à contre-jour. Qui était-ce ? Ses sourcils se froncèrent, tandis qu'elle essayait de comprendre qui pouvait bien être cette étrange personne.

– Sam ?

          Sa voix fluette et douce, son air perdu et ses traits tirés pinceraient le cœur des plus insensibles, néanmoins, la situation urgente força l'apparition à plus de dureté.