6e Traversée : Paradis

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          Une douce odeur agréable de fleurs emplissait ses narines en même temps que la légèreté d'un voile délicat flottait sur sa peau. Le chuintement d'une porte en bois la fit sourire malgré elle ; sans doute Sam. Sa tête pivota sur le côté pour mieux profiter de cet instant de sérénité absolu du matin. D'instinct, Iris agita un peu ses pieds afin d'apprécier la sensation des draps sur ses jambes. Son geste s'interrompit aussitôt. L'ensemble de ses muscles, submergés par une douleur mêlée d'une impression de lourdeur, refusaient de lui répondre. Quelques larmes perlèrent à ses yeux tandis qu'elle essayait de comprendre pourquoi tout son corps paraissait soudain impossible à bouger et trahissait une souffrance générale. Qu'avait-elle bien pu faire, hier, pour finir dans cet état ?

          À peine venait-elle de se poser cette question qu'une trombe de souvenirs s'abattit d'un coup dans son esprit, trop embrumé l'instant précédent. Le retour précipité de son parrain, leur fuite de la maison, leur arrêt brutal suivi de leur course effrénée dans la forêt... Et... Iris renifla bruyamment, déjà prête à pleurer. Mais sa mémoire continua de défiler, avec son arrivée dans cette forêt inconnue, sa rencontre tumultueuse avec Tiān Lóng, puis Huàn Hóng mourant... Ses yeux s'ouvrirent, emplis de détresse, pour observer l'endroit où elle se trouvait, mais surtout chercher la présence rassurante de son protecteur.

          Personne. Juste un grand lit à baldaquin où elle reposait, au centre d'une pièce plutôt luxueuse composée de bois foncé et de tissus au camaïeu de vert. L'ensemble ressemblait à un mélange agréable de décoration chinoise, japonaise et insulaire. Son angoisse diminua à la vue paisible de ce lieu calme. Où pouvait-elle bien se trouver ? Un souvenir fugace jaillit alors dans son esprit, celui d'un immense tigre blanc qui irradiait de lumière.

– Mù... Jīn...

          Un souffle d'air agita les rideaux diaphanes de la fenêtre aux lamelles de bois. Avec lui, les cris d'enfants qui devaient jouer dehors, ainsi que plusieurs voix de femmes qui discutaient avec gaieté, arrivèrent jusqu'à elle. Trop curieuse de contempler de ses propres yeux ce qui ressemblait à un paradis, Iris força sur ses bras dans l'espoir de se redresser. Son premier essai fut un échec cuisant. Sa douleur irradiait de son dos à son cou. Ses épaules tremblèrent avant de lâcher d'un coup, ce qui la fit retomber de tout son long, impuissante.

– Mademoiselle est réveillée ? demanda une voix fluette aux intonations délicates.

          En face du lit, un passage à travers une arche devait mener à une autre pièce. La nouvelle venue arrivait de là, dans sa belle toilette aussi verte que les rideaux diaphanes. Ses cheveux ondulés, attachés sur sa tête avec de jolies épingles, la vieillissaient, mais son visage gracile trahissait la jeune fille à peine pubère. Elles devaient donc avoir presque le même âge !

– Je n'arrive pas à me lever, gémit Iris dans un croassement très peu élégant.

          Pour tout dire, elle avait faim et soif, mais tant qu'elle ne saurait rien de cet endroit, et même s'il semblait paradisiaque, elle préférait encore se montrer prudente. L'inconnue face à elle esquissa un sourire compatissant qui dessina deux adorables fossettes dans ses joues. Elle se rapprocha ensuite à petits pas menus, avant de s'arrêter près du lit.

– Le docteur a conseillé que vous vous reposiez encore deux jours entiers. Mieux vaudrait que vous restiez allongée. Avez-vous faim ? Vous devez manger pour retrouver des forces, a-t-il précisé.

          Comment cela « encore deux jours » ? Combien de temps venait-elle de dormir ?

– Où suis-je ?

          Mieux valait poser la question directement. A priori, son paradis continuait de mériter ce titre, puisqu'elle avait été soignée. L'énigme principale demeurait, néanmoins : pour quelle raison ? Par pitié ? Compassion ? Intérêt ? La pensée éphémère du sac en cuir de Huàn Hóng autour de sa ceinture la fit pâlir. Elle ne portait qu'une étrange tenue blanche...

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