Héritage

14e Traversée : Menace

– Avez-vous une explication, Seigneur Mù Jīn, sur la présence de cette usurpatrice ici ? À moins que vous soyez vous-mêmes opposés à notre vénéré monarque, faute de quoi, cette fille doit nous être livrée !

          La tension palpable depuis quelques minutes s'appesantit encore un peu plus. Iris sentit sa gorge se serrer et ses mains devenir moites. Son envie de défendre Huàn Hóng face à ses meurtriers présumés s'enflait chaque seconde, et avec lui, son besoin de crier son innocence. Hélas pour elle, ses jambes plus lourdes que des pierres refusaient de bouger et le bras protecteur de Mù, toujours tendu devant les deux femmes, l'invitait à rester tranquille. Le seigneur des lieux reprit d'ailleurs la parole, de son ton paisible.

– Votre subordonné a sans aucun doute des soucis de vue, puisqu'il vient de pointer une princesse royale, Seigneur Tiān Lóng. La demoiselle derrière moi se trouve actuellement sous ma protection, à la demande de son père, Huàn Hóng.

          Le regard condescendant de leur invité se fissura d'un coup à cette annonce imprévue, s'agrandit et ne refléta bien plus qu'incrédulité et fureur mélangés. Iris sentit ses yeux pleins de colère se poser sur elle, prêts à la transpercer d'une multitude de lames. Le gardien des cieux comprit soudain qu'à défaut d'avoir été dupé dans la forêt, il venait de l'être ici même. Et face à son attitude hostile, le Tigre reprit, d'une voix encore plus douce et amicale, comme pour mieux l'enfoncer.

– D'ailleurs, ne seriez-vous pas en charge de rechercher le prince hériter, Dragon ? L'auriez-vous déjà ramené sain et sauf au Palais Rouge ? Si tel est le cas, je me ferais une joie d'emmener sa fille le retrouver...

          Cette fois, toute la haine qui submergeait Tiān Lóng changea de cible et se déversa contre Mù. De son côté, la pauvre Iris ne comprit pas son attitude hostile. Certaines remarques qui, pour elle, paraissaient anodines semblaient être des attaques directes envers leur interlocuteur.

– Mon roi m'a demandé de le rechercher par tous les moyens. Et je soutiens que cette fille, qui qu'elle prétende être, connaît la vérité ! cracha le Dragon, les yeux injectés de sang à cause de sa rage contenue.
– Retourne à tes recherches, Tiān Lóng. J'ai juré de protéger cette enfant et je le ferai... À moins que tu veuilles m'affronter ? répliqua Mù avec fermeté.

          Un bout de métal qu'Iris perçut grâce au reflet du soleil dessus pénétra dans son champ visuel par la droite. Ses yeux curieux se tournèrent dans sa direction, pour mieux contempler l'élégant pistolet en bois et or tendu par Dame Huǒ. À son tour, ses paupières s'écarquillèrent devant une telle surprise. Déjà, elle ne s'attendait pas à voir des armes à feu dans cette réalité, mais en plus, la posture parfaite de la Tortue suggérait qu'elle s'y connaissait très bien en tir de précision : ses deux mains tenaient la crosse et elle visait le Dragon ; ou plutôt sa tête.

– Nous affronter, pour être plus précis, déclara Dame Huǒ d'un ton glacé.

          Un mouvement de foule reflua soudain de la place, comme si la seule vision de cette arme pointée et l'annonce d'un affrontement entre ces trois-là suffisait à prédire les pires cataclysmes. Iris le remarqua non sans pâlir et ouvrit la bouche dans l'idée de parler, dire la vérité, dénoncer le Dragon, défendre enfin la mémoire de Huàn Hóng, accuser ce fichu roi, bref, déblatérer n'importe quoi dans l'espoir d'éviter un conflit à cause d'elle, mais encore une fois, son Kra l'en empêcha.

« N'interviens surtout pas. »

          Pourquoi ? Toutes ses pensées imaginaient déjà l'endroit réduit en poussière à cause du Dragon, la peine du Tigre de perdre son palais de jade, les ennuis à n'en plus finir, le roi averti, une autre fuite en avant, encore plus de problèmes...