Histoire d'un aller sans retour

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Tandis que les paysages défilaient à toute allure derrière les vitres de notre voiture rouillée, la douce verdure de la campagne qui nous était si familière fut peu à peu remplacée par la pollution ambiante et l'odeur goudronnée de l'autoroute. La chaleur du mois d'août qui s'abattait avec toujours plus d'ardeur sur la tôle en mouvement ne laissait à la climatisation aucun moment de répit, crachotant ainsi bruyamment des vagues régulières d'air frais dans l'habitacle.

Confortablement installée sur la banquette arrière, mes écouteurs logés dans les oreilles, je ne pouvais me résoudre à croire que nous avions sauté le pas, que nous avions enfin tourné cette page qui nous retenait.

Cependant, je n'en restais pas moins dubitative quant à la suite de nos aventures.

Avant notre départ, Harry m'avait confié une brochure qui selon lui m'aiderait à me familiariser plus aisément avec notre "nouvel environnement". Je n'avais toujours pas eu la foi de la feuilleter complètement, redoutant sans doute un peu trop le dépaysement que sa lecture me provoquerait. J'avais beau voir ce déménagement d'un meilleur œil à présent, vivre en ville continuait cependant de me laisser perplexe. J'étais le genre fille beaucoup trop habituée à l'odeur de la bouse, du crottin frais et au confort des bottes en caoutchouc mais je pris tout de même sur moi pour poursuivre ma pêche aux informations.

EDEN, le nom prônait en lettres capitales en haut du fascicule, prêt à me sauter à la figure à peine le regard porté dessus. J'eus un sourire ironique en pensant à l'Eden décrit dans la Bible. Quel curieux appellatif pour un endroit où les espaces verts devaient sans aucun doute se compter sur les doigts d'une main.

Tous les aspects majeurs qu'on pouvait attendre d'un guide touristique y étaient passés au crible, à tel point que j'eus parfois la désagréable impression de tenir en main une version papier d'une page Wikipédia. Surtout lorsqu'il était question de l'histoire de l'esthétisme de la ville.

Cette dernière avait été construite selon un modèle victorien dont les photographies ne pouvaient guère laisser indifférent, même pour quelqu'un qui se contrefichait totalement de l'esthétisme. L'endroit semblait malgré tout à la fois singulier et charmant. Quatre pages avaient ensuite été dédiées aux petits commerces qui faisaient la bonne réputation du coin ainsi qu'à son unique lycée primé pour ses excellentes méthodes d'apprentissages et son zèle sans égal à vouloir offrir une ouverture culturelle et artistique particulière à ses étudiants.

Je refermais alors vivement le livret jauni crissant sous mes doigts, ne désirant pas m'infliger une énième crise de panique à ce sujet. En plus d'amarrer sur une terre nouvelle, j'allais devoir changer d'établissement pour ma dernière année de lycée. Et ça, c'était foutrement effrayant.

Le déracinement.

Lorsque je relevai à nouveau les yeux, le paysage avait brusquement changé et le moteur de la voiture ne produisait plus qu'un léger ronronnement dans l'air ambiant. La température estivale avait dégringolé à un point tel qu'on aurait pu penser que la canicule avait fait demi-tour à l'entrée de la ville.

Harry se tourna alors vers moi, la mine blanche et déconfite. Il traînait ainsi son mal des transports partout où il allait depuis ses huit ans au moins.

Nous étions désormais parqués en face d'un immeuble en vieilles briques d'un noir incontestablement glauque et, chacun à notre manière, nous scrutions notre nouveau chez-nous.

Alors c'était donc ça le fameux style victorien.

Je fus la première à sortir de la voiture. Nous déchargeâmes alors nos affaires avant de nous diriger vers l'entrée du bâtiment.

Red Lightning Strike | Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant