L'Œil du Diable

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Ce matin-là, je m'étais réveillée avec des papillons dans le ventre et des cernes sous les yeux. 

Ma nuit avait été courte, pour ne pas dire inexistante. 

Nous avions passé une bonne partie de la soirée à discuter de tout et de rien, bercés par le souvenir de notre baiser jusqu'à ce qu'il se décide à me ramener chez moi. 

Et maintenant je pouvais affirmer que quelque chose avait changé, à commencer par ses lèvres sur les miennes. 

Ça devait bien faire cinq minutes que je contemplais ainsi le plafond de ma chambre. Je n'arrêtais pas de ressasser ce qui s'était passé. 

La douceur de sa peau. 

Ses doigts s'entortillant dans mes cheveux. 

La chaleur de son souffle dans mon cou. 

Cette sensation de s'envoler comme un ballon d'hélium, de flotter au-dessus de la stratosphère, ce sentiment de ne plus pouvoir respirer, de ne plus avoir pied, cette boule de feu au creux de mon ventre, ces étincelles dorées dans ses yeux. 

— Amélie ? 

Je faillis tomber du lit en entendant une autre voix que celle de mon moi intérieur. 

Maman entra dans ma chambre. Evidemment, pour elle, rien n'avait changé. Elle ne remarqua pas le manteau qui n'était pas à sa place habituelle et elle ne remarqua pas non plus mes Converses pleine de boue séchée qui trainaient près du bureau. 

L'espace d'une soirée, nous avions vécu en différé, à des années-lumière l'une de l'autre et maintenant qu'elle était face à moi, je sentais ce vide se creuser encore un peu plus entre nous.

 J'aurais voulu lui raconter mon premier baiser, lui partager ce que j'avais ressenti. Je lui aurais parlé des papillons, je lui aurais dit qu'ils volent vraiment, que ce n'était pas un mythe ou une légende empruntée. J'aurais peut-être évoqué la raison de ce sourire que je n'arrivais plus à décoller de mon visage. 

Mais je ne pouvais pas. Le sujet était tabou, ou plutôt, Zayn était un sujet tabou. 

Peut-être parce qu'il lui rappelait papa : casse-cou dans l'âme, effronté jusqu'à la moelle et en complète perdition avec la réalité. En clair, tout ce qu'elle n'était pas. 

— Il est presque midi ! s'exclama-t-elle en ramassant une de mes peluches qui avait dû tomber du lit. Tu n'as pas oublié la fête d'Alexandre, rassure-moi ? 

Pour toute réponse, je mis mon coussin sur ma tête. 

Je sentis le matelas s'affaisser à mes côtés, elle souleva alors l'oreiller et débarrassa mon visage des mèches rebelles qui étaient venues s'y poser. 

J'adorais quand elle faisait ça. J'avais l'impression de replonger des années en arrière quand Harry et moi partagions encore la même chambre et qu'elle nous lisait des histoires pour nous endormir. 

— Tu pourras rencontrer d'autres personnes du coin ! tenta-t-elle pour me convaincre. 

Je fis la moue. 

— J'en rencontre déjà bien assez au lycée ! 

Maman leva les yeux au ciel.  

— Eh bien au moins ça te fera sortir du lit, c'est déjà ça ! reprit-elle en venant chatouiller mes côtes. 

Elle n'aurait pas été d'aussi bonne humeur si elle savait avec qui j'avais traîné hier soir mais j'aimais quand elle souriait comme elle le faisait maintenant et je ne voulais pas la décevoir. Je préférais ça que de la voir s'enfiler des bouteilles d'alcool jusqu'au petit matin comme après le départ de papa. Grand-mère lui disait toujours qu'un jour il foutrait le camp et c'était ce qu'il avait fait. 

Red Lightning Strike | Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant