8

858 66 0
                                    


— Puis-je vous demander ce que vous faites ?, demanda Markus à Aalana pendant qu'elle s'amusait à parler aux plantes joyeusement.

Aalana était tellement concentrée sur ce qu'elle faisait qu'elle sursauta presque en entendant la voix du duc. Elle n'avait pas pensé qu'il pourrait venir jusqu'à sa petite serre durant une journée aussi belle et sereine que celle-là. Elle avait pensé qu'il serait allé se promener ou serait aller visiter une des tavernes de  Andover. C'était très courant chez les hommes du même rang que Cavendish. Il profitait de tout les occasions qui se présentaient devant eux pour aller dans le club ou dans la taverne la plus proche pour se saouler et parler de politique, de pari ou de sport. Le problème n'était pas que Aalana était contre ça, seulement qu'elle n'avait jamais compris cette habitude des hommes et se dit qu'elle ne comprendrait peut-être jamais.

Il y avait bien des choses que Aalana ne comprenait pas comme par exemple le pouvoir presque absolu que détenait les hommes et des choses qu'elle voudrait changer comme le regard de la société vis à vis des femmes. C'étaient des choses qu'elle ne cernait pas très bien car, se disait-elle, parce que ces choses étaient bien plus profondes.

Au yeux de la société, il était tout à fait normal qu'un homme bien qu'il soit marié trompe sa femme autant qu'il le voudrait malgré la promesse de fidélité et de chasteté qu'il avait fait lors de la cérémonie devant les hommes et le Dieu Tout-Puissant. Mais si c'était une femme qui trompait son mari, elle aurait à subir non seulement le regard hautain et les moqueries de la société, elle devrait aussi subir le rejet de sa famille et de son mari, et si son mari le désirait, il pourrait la traîner en justice pour adultère et la répudier ensuite. Alors que si c'était l'homme à la place de la femme, la femme aurait tout simplement subit le choc de la trahison de son mari et ferait comme ci de rien était. Elle continuerait à diriger son domaine comme auparavant et se montrerait toujours soumise et obéissante.

La femme était-elle donc réellement voué à demeurer la propriété de son mari ?

— Excusez moi de vous avoir fait aussi peur, dit le duc lui tirant hors de sa réflexion, mais je n'aurais jamais pensé que vous pourriez être à ce point accaparé par vos plantes.

— C'est moi qui vous présente mes excuses, dit-elle en se levant. Vous êtes mon invité et j'ai failli dans mon rôle d'hôtesse et de maîtresse de ce domaine. C'est une très belle journée aujourd'hui, j'aurais dû vous proposer une ballade ou une activité hors du cottage.

— Mais au lieu de ça vous êtes venu ici pour parler à des plantes, rigola le duc.

— C'est cela. Mais si vous voulez je peux demander à ma femme de chambre de me préparer une robe de ville pour qu'on puisse sortir tout les deux.

— Ce n'est pas la peine.

Il se rapprocha d'elle.

— Puis-je prendre place à vos côtés ?, demanda t-il.

— Bien sûr Votre Grâce, répondit-elle en se reculant pour lui laisser de la place.

Il tira sur une chaise et s'assit sur celle-ci en affichant son plus beau sourire à Aalana.

— Dîtes moi de quoi parliez vous à ces demoiselles vertes lorsque je venais.

— Oh, rien de particulier. Disons des banalités de toute sortes.

— Les potins de la Saison ?

— Vous savez très bien que je ne suis pas ce genre de personne, répondit Aalana.

— Chacun de nous prétend être ce qu'il n'est pas, répliqua le duc.

— C'est ainsi Vôtre Grâce. Malheureusement personne n'est parfait et cherche donc à l'être aux yeux de la société.

— Vous si. Vous êtes parfaite à mes yeux.

Aalana se retourna pour le regarder et vit dans ses prunelles grises une lueur impressionnante qui rendait le duc encore plus désirable qu'elle n'avait jamais vu avant. Les rayons du soleil entrait par le toit en verre de la petite serre et venait se refléter dans les yeux du duc, qui brillèrent comme des diamants.

— Je suis parfaite dans mon imperfection tout comme vous, répondit-elle posément au duc.

Le duc sourit à sa réponse.

— Vous êtes une femme vif d'esprit, la complimenta t-il.

— Vous l'êtes autant que je le suis sire.

— Pourquoi jardinez vous, demanda t-il curieux.

Aalana n'avait pas pensé que le duc lui poserait un jour cette question. Elle savait déjà que c'était un homme d'une très grande perspicacité à qui rien n'échappait. Il aimait aussi posé des questions sur tout un peu comme un petit garçon. Il voulait toujours tout savoir et Aalana trouvait cela mignon pour quelqu'un de son âge et de sa classe. Il avait décidemment beaucoup de qualité qui le rendait attirant.

Aux premiers abords, le duc donnait l'air d'être quelqu'un d'impénétrable, dure, sévère et sans cœur. Son physique, sa richesse et ses connaissances... tout vous laissait croire qu'il était quelqu'un d'inaccessible et d'impitoyable, un peu comme un contremaître. Mais force était de constater que le duc était tout le contraire. C'était un homme attachant, sensible, compréhensible, correct, très franc et très direct. Mais aussi très impulsif. Elle avait remarqué qu'il se mettait très facilement en colère. Mais ça ne l'empêchait de voir en lui une mine d'or et de diamant, un homme grand et beau non seulement de l'extérieur mais aussi de l'intérieur.

Elle lui sourit avec chaleur.

— Parce que cela m'aide à me sentir plus proche d'un être vraiment cher pour moi, répondit-elle.

— Puis-je savoir de qui il s'agit ?

— Votre question ne me surprend pas, dit-elle avec chaleur.

— Vous savez certainement déjà que je pose beaucoup de questions.

— Oui je sais et avec ça, vous feriez sûrement un très bon enquêteur.

— Que le Seigneur m'en préserve, rigola t-il.

— Mon père, répondit-elle brusquement.

Elle avait répondu calmement mais le duc vit qu'elle avait retint ses sentiments et qu'elle avait serré les poings.

Le duc hocha la tête en acquiesçant.

— Il était jardinier alors.

— Non, forgeron. Mais son père c'est-à-dire mon grand-père, l'a inititié dans le jardinage et dans la musique. Lui aussi était forgeron avant de trouver un emploi en tant que valet chez un lord irlandais.

— Où est-il maintenant ? Fait-il encore parti de notre monde ?

Markus remarqua qu'elle semblait confuse. Pensa d'abord que c'était parce qu'il n'avait pas précisé si c'était de son père ou de son grand-père donc il voulait parler, il répliqua avec plus de précision.

— Je parle de votre père.

***

Aalana n'avait pas besoin de précision pour savoir que le duc voulait parler de son père. Que pouvait-elle bien dire au duc concernant son père ? Qu'elle ne savait plus rien de lui depuis dix ans ? Qu'elle culpabilisait de l'avoir abandonné en quittant la maison familiale ce jour-là et après en ne cherchant pas à avoir de ses nouvelles ? Que pouvait-elle vraiment dire au duc.

Son histoire concernant son père et sa mère, elle n'en avait jamais parlé à qui que ce soit. Seule Gwen, la femme qui l'avait salué lorsqu'elle s'était rendue à son chantier le savait, pas parce qu'Aalana le lui avait raconté, mais tout simplement parce qu'à l'époque des faits, Gwen vivait avec son fils et sa belle fille dans le même quartier qu'Aalana. Gwen connaissait donc en détail toutes les souffrances que la pauvre Aalana avait dû endurer à cause de sa mère. Elle était au courant du caractère indécis et faible de son père, ce qui contribua grandement à la maltraitance d'Aalana bien que son père s'efforçait toujours d'avoir des moments de joie et de partage avec elle entre père et fille comme le jardinage par exemple.

Cela n'était pas assez suffisant pour Aalana. Elle était certes très heureuse de tout les bons moments passés avec son père et elle lui en était reconnaissante mais elle lui reprochait son caractère nonchalant et elle n'était pas sûr de pouvoir le lui pardonner un jour. Elle avait voulu que ce jour-là, pour une fois et à cause de tout l'amour qu'il disait ressentir pour elle, qu'il réagisse comme un père l'aurait fait pour protéger sa fille et pour prendre sa défense. Elle aurait voulu qu'il prenne courage et se lève contre sa mère en utilisant son autorité de chef de famille. Qu'il décline la décision de sa mère de lui renvoyer de la maison. Il ne l'avait pas fait. Après cet incident, elle était restée quelque jour chez une de ses amies, croyant que son père allait venir à sa rencontre ou aurait profiter de l'occasion pour faire changer d'avis à sa mère mais rien ne s'était passé comme elle l'avait pensé. Elle avait dû accepter la triste réalité et s'en aller loin de Newport et du pays de Galles pour l'Écosse, voulant être le plus loin possible de ses parents.

Lorsqu'elle prit conscience de la question du duc, Aalana devint nerveuse, triste et en colère. Que pouvait-elle bien dire au duc ? Qu'elle ne le savait pas ? Qu'elle ignorait où se trouvait son pèrev? Qu'elle ne l'avait pas vu depuis dix longues années ? Qu'elle n'avait pas de ses nouvelles ?

Si elle le disait, le duc chercherait à en savoir plus sur elle. Il chercherait à comprendre pourquoi elle n'avait pas revu ses parents depuis. Et s'il le faisait, il finirait pas découvrir que ses parents l'avaient mise à la porte de leur maison à ses 18 ans et certainement son aventure avec ce lord écossais qui lui valu le titre de courtisane.

Elle comprit très vite que toute sa vie n'avait été que souffrance, douleur et solitude. Depuis sa naissance, elle était haïe et méprisée par sa propre mère, celle qui l'avait porté dans son sein et mise au monde, parce qu'elle ne supportait pas de voir le “fruit de ses péchés”, comme elle l'appelait si souvent Aalana. Durant toute sa vie, elle avait porté ce lourd fardeau qu'était la haine de sa mère. Au début ça lui faisait vraiment mal et la blessait mais avec le temps elle avait appris à vivre avec au quotidien. On ne peut pas vraiment dire qu'elle se soit habituée à cela; ces choses là, on ne s'y habitue pas. Non ! On apprend juste avec le temps à vivre avec cette douleur en nous et à cacher nos sentiments. Les sentiments on ne les cache pas bien trop longtemps. Tôt ou tard ils finissent par reprendre le dessus. Durant ces moments, on peut soit choisir de se laisser aller ou de les refouler. La plupart des personnes préfèrent les refoulé ne sachant pas que plus on les refoule, plus le désir de se laisser aller devient ardent. Lorsqu'il devient ardent, plus rien ne peut l'arrêter même la détermination la plus forte qui puisse exister. C'était donc pour cela que quand elle le pouvait, Aalana allait dans un endroit calme et isolé pour pleurer toutes les larmes de son soûl. Il lui arrivait de pleurer jusqu'à avoir mal à la tête et d'avoir de la fièvre. Mais même en ce moment, tout ce qu'elle pouvait faire c'était supporter et endurer refoulant ces larmes qui ne désiraient qu'exprimer librement ce que son cœur murmurait tout bas.

Elle se rappela d'une fois, lors de ses 16 ans. C'était l'été et le soleil était à son comble. La chaleur était telle que tous ne réclamait que du calme et des rafraîchissements frais pour pouvoir se désaltérer. Ce jour-là, comme d'habitude, Aalana était allée au marché du coin acheter des provisions et de quoi faire un joli tableau. Une fois lors de ses promenades, elle avait trouvé un endroit qui donnait une vue très net le fleuve Wysg  ( en anglais Usk) . Elle avait été tellement émerveillée qu'elle décida de s'acheter une toile avec ses économies avec du matériel pour mettre sur toile en huile et en peinture la belle vue du fleuve.

Elle était donc aller au marché et avait acheté tout ce dont elle avait besoin pour son tableau plus les provisions. Sur le chemin du retour, elle était toute contente d'avoir pu acheter le nécessaire pour son tableau. En rentrant, elle salua avec gaieté et enthousiasme tout ceux qu'elle trouvait sur son chemin. À Newport on aimait ça chez elle, sa spontanéité, sa vivacité d'esprit, sa positivité et le fait qu'elle voyait le bien partout malgré tout ce qu'elle endurait.

Lorsqu'elle fut rentrée, elle salua sa mère qui se trouvait au salon et se dirigea directement vers la cuisine y laisser les provisions. Ce fut lorsqu'elle se dirigeait vers sa chambre transportant ses ustensiles de peinture, qu'elle fut interpellé par sa mère. Intrigué, c'est avec beaucoup de peur et de méfiance qu'elle s'approcha de sa mère.

— Oui mère, me voici.

— Où étais-tu jeune fille?, cria sa mère.

— Au marché mère acheter des provisions pour la semaine.

Sa mère lança un regard glacé vers la toile et la petite sacoche contenant la peinture et les différents huiles dans des flacons que portait Aalana.

— Et ça, dit-elle en tirant sur la sacoche et la toile. Qu'est-ce que c'est ?

— Une toile et de la peinture mère, avait-elle répondu apeurée.

— Qui est-ce qui t'as demandé d'acheter ça !, avait-elle crié très fort. Aalana ne répondit pas. Qui est-ce qui te l'as demandé ? Ne t'ai-je pas posé une question?

— Si mère, veuillez m'excuser. Je n'ai reçu l'ordre de personne pour le faire. En fait je désire juste peindre la vue du fleuve qu'on a d'ici. C'est donc pour cela que j'ai acheté ce matériel de peinture.

Sa mère se fâcha encore plus et lui assena une gifle forte et puissante qui sonna Aalana.

— Qui est-ce qui t'as donné assez d'argent pour t'acheter tout ça ?

Aalana pleurait déjà à chaude larme et était trop sur le choc pour pouvoir répondre à la question de sa mère.

— Aalana répond moi maintenant, avait-elle crié. Qui t'as donné de l'argent pour ça.

— Mes é-ccc-onom-iiiiee, répondit-elle en syllabe, secouée de tout son être à cause de la peur.

— Es-tu sûr de toi ?, avait-elle demandé.

— Oui mère.

— Menteuse !, avait-elle crié donnant une autre gifle à Aalana qui lui fit tomber à mène le sol. Dit moi maintenant est-ce avec l'argent que tu as eu de mon bijoux volé que tu t'es acheté tout ça ?

Aalana réagit vivement et se mit en genoux devant sa mère.

— Mère je vous en supplie de me croire. Je n'ai pas volé votre bijoux. Vous êtes ma mère, vous savez bien que ce n'est pas dans mes habitudes de voler.

— Ne dit pas jamais que je suis ta mère, avait répliqué la mère d'Aalana. Compris ? Tu n'es pas mon enfant mais l'œuvre du Diable. La punition de mes péchés par le Seigneur. Toi ! C'est ce que tu es. Une bâtarde et rien de plus. Tu n'es pas ma fille. Retiens bien cela. Maintenant remet moi mon collier de rubis.

— Je ne l'ai pas mère. Veillez me croire je ne l'ai pas.

Elle se mit encore plus en colère et tira Aalana par les cheveux jusqu'à dehors, à la cour devant tout le monde.

— Je vous salue mes chers voisins, commença t-elle enfin d'attirer l'attention des voisins. Je vous présente une nouvelle voleuse dans cette ville. Elle pointa Aalana qui ne faisait que pleurer tout en serrant fort contre elle le tableau et la petite sacoche contenant les flacons. Je vous présente Aalana la voleuse de bijoux et je vous la laisse entre vos mains. Pour ma part, j'en ai fini avec elle.

Aalana se rappelait parfaitement de moment comme cela où sa mère la battait, la grondait, l'insultait et la rabaissait. Lorsque son père fit rentré, les voisins le racontèrent les événements de la journée mais il ne fit rien. Lors du dîner, il n'adressa pas tout simplement la parole à Aalana, se contentant de la regarder par dessus ses épaules. Depuis ce jour, Aalana avait compris que son père restera toujours lâche et qu'il ne s'affirmerait jamais devant sa mère.

Aalana répondit au duc d'un ton neutre et très spiritueux.

—  À Newport, au pays de Galles, répondit-elle essayant de contenir ses émotions.

— Avec votre mère ?

— Ma mère est morte le jour de ma naissance.

Et c'était vrai. La mère d'Aalana était morte au sens qu'elle ne s'était jamais comporté en mère auprès d'Aalana. Aalana n'a jamais su ce que s'était que l'amour maternel et encore moins la protection d'un père. Ses parents étaient morts pour elle et sa mère en première.

— Je suis désolée, dit le duc. Veillez m'excuser mais je n'en savait mot.

— Vous n'avez pas à vous inquiéter ce n'est rien. Maintenant levez vous.

— Où allons-nous ?

— Faire une petite promenade.

La Courtisane de AndoverOù les histoires vivent. Découvrez maintenant