Belfast, 1838
Assis dans son bureau le regard concentré et les pensées fixes, Byrne McCord, ministre, sénateur, homme d'affaires et grand politicien irlandais, regardait avec nervosité et désinvolture son secrétaire particulier empilé les documents les uns sur les autres. Plus le temps passait, plus il avait l'impression de se trouver dans une prison. Tous ces papiers qui ne faisaient qu'entrer et sortir lui donnait la migraine. Il passait le clair de son temps assis sur son bureau à regarder les mêmes types de documents contenant le même type de problème y circuler. Il se tourna vers son secrétaire particulier, Lucas Folley.
— Lucas, commença-t-il, il y a-t-il donc seulement dans toutes cette paperasse, que des documents ennuyeux à inspecter et des décrets ? Cela fait déjà plusieurs semaines, des mois et pas quelques choses de différent ?
Lucas le regarda avec un regard confus et suspicieux.
— De quel type de document parlez-vous ? demanda-t-il sérieusement.
— Une invitation à un événement par exemple, répondit-il.
— Je pensais que les évènements mondains ne vous plaisent pas, répondit le brave Lucas confus.
— Il se trouve que j'ai soudainement développé un intérêt aux évènements mondains.
— Malheureusement vous n'avez pas d'invitation qui pourrait vous intéresser, répondit calmement Lucas.
— Pourquoi cela, demanda Byrne avec confusion.
— Parce que vous avez rejeté toutes les invitations et ceux que vous avez pris la peine d'accepter vous n'y êtes pas allé.
— Voyons donc Lucas, répliqua calmement Byrne. J'ai assisté il me semble au bal qu'organisait ce brave Pilkington.
— Vous n'y êtes resté que trentaine de minutes.
— Vraiment autant ? s'exclama Byrne. Je croyais être resté pendant moins longtemps. Vous voyez mon cher Lucas que je fais des efforts. Je suis resté pendant une trentaine de minutes chez ce bon vieux monsieur Pilkington.
— Sir Pilkington s'est senti offensé par votre geste messier McCord, répliqua le jeune valet.
— Voyons donc et pourquoi ?
— Il a paraît-il pris cela comme une insulte. Vous comptez l'avoir comme allié je pense. Je crois que vous devriez vous excuser auprès de lui. Il aurait mieux fallu que vous n'y allez pas.
— Et selon toi que dois-je faire pour m’excuser ? demanda McCord avec détachement.
— Lui rendre visite, répondit calmement Lucas.
— Qu'elle idée ! pouffa McCord.
— C'est à vous de voir messier.
— Et si je faisais mieux que le rendre visite, dit soudainement McCord qui eut une idée.
— Sans vous offenser, commença Luca, le simple fait de vous rendre à la chambre des députés pour vous est un vrai calvaire. Je ne vois pas comment lui rendre visite serait de votre ressort Sir.
— Tu as raison. Néanmoins au préalable à chaque fois que je recevrai une invitation tu répondrais à l'hôte disant que je suis malade. Tous ces vieux détraqués peuvent très bien se débrouiller sans moi.
— Que dois-je spécifier comme maladie ?
— Ce que tu voudras Lucas, s'exclama McCord agacé. Ce que tu voudras mais s'il te plaît que je ne sois pas contraint d'y assister. Seulement dans les cas où mes intérêts seraient servis.
Lucas s'affaira à regrouper toutes les invitations liées au travail de McCord et en profita pour classer d'autres courriers. Il était en plein triage du courrier, lorsqu'il s'aperçut de la présence d'une petite enveloppe où y était figuré le sceau d'un aristocrate.
— Il me semble monsieur qu'il y a peut-être un événement au quel vous êtes invité, vous ainsi que votre famille, dit-il en lui tendant l'enveloppe contenant l'invitation.
— Lucas fait ce que je t'ai dit, continua McCord. Annule toutes ces invitations. Ma femme pourra très bien y aller toute seule avec notre fille. Pas besoin de moi. Je n'ai plus de tout envie d'assister à quoi que ce soit même une fête.
— Vous semblez ne pas comprendre, dit Lucas calmement.
— Comment veux-tu que je comprenne, s'indigna McCord. J'ai tout ces fichus documents à examiner et à vérifier. Étant dans cette situation je suis dans l'incapacité de comprendre quoi que ce soit d'autre.
— C'est une invitation pour Londres.
À l'entente du nom de la ville, McCord tendit l'oreille. Il se demandait qui est-ce qui l'avait invité.
— Par qui ai-je été invité ?
— Il s'agit d'une soirée de gala pour une charité présidée par le duc de Devonshire et son ami le comte de Clarendon.
— C'est donc ce bon vieux Clarendon qui a eu l'audace de m'inviter, s'exclama McCord.
— Que comptez-vous faire ? , demanda Lucas qui au fond de lui souhaitait que son maître accepte même s'il était déjà conscient de sa réponse.
— Je ne compte pas m'y rendre.
— C'est une des plus grandes soirées mondaines et vous y êtes invité.
— Comme de centaines autres personnes, répondit McCord en imposant sa signature sur le document qu'il examinait.
— Cela pourrait être bénéfique à votre carrière de vous attirer les faveurs d'aristocrates anglais.
— Je tiens à te rappeler que même ici en Irlande nous avons des majestés et la compagnie qui va avec.
— Pas seulement cela, continua Lucas. Pensez à vos affaires ? Le duc a une grande entreprise de construction avec plusieurs charités et organisation à son actif et le comte est un riche propriétaire foncier et agricole. Essayez au moins de vous y rendre avec toute votre famille. Ça fera bonne impression et les répercussions se sentiront jusqu'ici. Faîtes vous désirez sir. Si l'Irlande refuse de reconnaître votre valeur, assurez-vous donc que l'Angleterre le fasse.
— Tu as peut-être raison, s'exprima McCord. Quel est le but de cette soirée ?
— Récolter suffisamment d'argent pour le projet de construction pour famille pauvres et enfants de la rue.
— C'est une très belle initiative. Quoi que le coût de cette soirée aurait amplement suffit à faire loger ses pauvres gens. Mais soit ! Mon rôle est de contribuer et d'assister et je le ferai. Veille donc avertir mon épouse et ma fille, dit McCord.
— Très bien Sir.
Sir Byrne McCord était un homme d'affaires et politicien irlandais respecté et honoré. Il avait été fait chevalier par le roi en personne pour le récompenser de son travail accompli enfin de redresser l'économie et la condition sociale en Irlande du Nord. Malgré son rang et son influence, McCord ne fût jamais vraiment social. Il préférait nouer des relations professionnelles avec les personnes de son entourage et faisait tout pour maintenir ce type de relation avec eux. Le problème n'était pas qu'il se croyait au-dessus des autres ou autosuffisant ; juste que de nature, il était un homme timide et particulièrement réservé et ne savait pas interagir plus socialement au delà de ce que permettait le protocole. Ses interactions avec les autres personnes se limitaient strictement à ce que dictait le protocole. Il se sentait plus à l'aise en compagnie de sa famille et de ses amis proches. Pour McCord, la qualité de ses amis était plus importante que leur quantité. Il préférait être entouré de 2 ou 3 personnes sur qui il savait pouvoir compter et qui pourraient compter sur lui en retour dans les bons comme dans les mauvais moments, tout cela contrairement aux personnes de son milieu qui adoraient être entourées et vénérées par n'importe qui et tout le monde. À cause de sa réserve, et de sa nature sérieuse, McCord était quelque fois l'objet de calomnie et de moquerie. Pour des gens comme ceux qu'il avait l'habitude de fréquenter durant ces soirées et fêtes, le fait qu'un homme influent tel que McCord, les ignore les faisaient honte. Pour combler cette honte, quoi de mieux qu'un peu de médisance ?
McCord ne se sentait pas particulièrement atteint par les moqueries et autres. Il avait toujours été moqué et harcelé à cause de son caractère ; donc étant habitué, plus rien ne le surprenait. C'était au contraire pour sa femme et ses enfants qu'il s'inquiétait. Sa femme se nommait Caitlin McGillis et était la fille d'un riche propriétaire irlandais. Ils s'étaient rencontrés durant une soirée de bal à Belfast il y avait 28 ans de cela (lire le chapitre 9; avant-dernier ou avant avant-dernière paragraphe ). C'était une femme joyeuse, extravertie, ouverte et compréhensible. Elle était le contraire de McCord par son physique et son comportement. Il était blond, elle était rousse… il avait des yeux verts comme l'émeraude et elle des yeux bleus comme un ciel d'été. Il était grand, elle était petite. Ensemble ils avaient eu 2 enfants, un fils de 24 ans, Aindreas et leur plus jeune fille, Eadan.
Aindreas était le prénom du grand-père de McCord ; à la naissance de son fils, il fût tellement stupéfait par sa ressemblance avec celui-ci, qu'il l'appela Aindreas. Aindreas McCord était un jeune homme plutôt indépendant et intrépide. C'était un grand blond aux yeux bleus avec une peau mate et des taches de rousseur et le faisait tant ressembler à sa mère Mrs Caitlin McCord mais doté du caractère trempé de son père. Il n'avait peur de rien, même le roi ne le faisait pas peur. Il ne désirait pas être reconnu ou respecté parce qu'il était le fils de son père. Au contraire, il voulait être connu de lui-même, par ses actes et ses actions. Ce qu'Aindreas désirait par-dessus était de faire carrière dans la Royal Navy.
Et puis il y avait sa fille cadette Eadan. Bien qu'elle fût âgée de 21 ans, c'était déjà une jeune fille accomplie et dynamique. Physiquement elle avait pris les cheveux roux et flamboyant de sa mère et les mêmes yeux émeraudes de son père. Elle ressemblait énormément à son père mais avec le caractère enflammé de sa mère et fougueux de son père qu'elle avait appris à contrôler avec le temps. Elle aimait particulièrement la littérature, le théâtre et l'art et avait une très grande passion pour les chevaux. Elle rêvait pouvoir posséder une écurie toute entière un jour. Son rêve le plus cher était de diriger un ranch avec des animaux comme le faisaient les américains. Elle était passionnée par leur mode de vie moderne et traditionnel à la fois, leur ingéniosité et leur bravoure. Elle était aussi volontaire et membre d'administration de plusieurs œuvres de charité. Il lui arrivait très souvent de jouer des rôles de théâtre enfin de récolter des fonds nécessaires pour des causes juste à ses yeux. C'était une fille très cultivée et éduquée. Elle avait une préférence notée pour les activités en extérieure comme l'équitation et le jardinage que plus que les activités en intérieur et encore moins boire du thé en discutant de beaux temps et de vêtements avec d'autres jeunes filles dans les divers salons de la ville. Elle ne pensait pas très sérieusement au mariage ; elle voulait profiter au maximum de sa liberté de jeune fille. Son père ne lui mettait pas non plus de pression en ce qui concernait le mariage ne voulant pas la brusquer. En fait, sa plus grande peur en tant que père fût qu'elle épouse un homme qu'elle n'aimerait jamais et qui la rendrait malheureuse. McCord savait que même si sa fille était de nature forte, elle était très sensible à ce qui l'entourait. Il ne voulait pas qu'elle se retrouve brisé et malheureuse.
Pour Sir McCord, le plus important était le bonheur de ses enfants avant tout le reste. Ce qu'il ignorait par contre était qu'il avait un autre enfant, une jeune fille de 28 ans qu'il avait eu avec lady Belle Dillon. En ce qui concernait ses sentiments pour Belle, il ne l'avait jamais spécialement aimé. Il l'avait toujours voulu l'aimer d'abord pour ce qu'elle pouvait lui apporter mais sa beauté et sa grâce l'avait fait croire pendant un court instant qu'il pouvait peut-être l'aimer pour sa personne et l'apprécier. Mais la demoiselle était bien trop égoïste, orgueilleuse et vaniteuse. Il s'était donc résolu à ne maintenir qu'une relation charnelle avec eux. Après quelques semaines ils avaient rompu cette relation. Ce fût Byrne à rompre. Il ne se sentait pas pour le moins du monde à l'aise avec le caractère de Belle. Sa jalousie et son habitude à toujours vouloir tout contrôler autour d'elle l'exaspérait. Il l'avait essayé plusieurs fois de le lui dire mais à chaque fois, elle l'ignorait et se comportait encore pire que la dernière fois. Après seulement 5 semaines de relation ils rompirent et Byrne se mît à courtiser miss McGillis qu'il trouva la compagnie fort bien plaisante.
Quelques semaines après leur rupture, Byrne apprit qu'elle avait épousé le forgeron de son père le vicomte et était allée vivre avec lui au Pays de Galles, dans sa propriété. Il s'était bien évidemment demandé ce qui avait bien pu se passer pour qu'elle épouse un forgeron sachant qu'elle avait bien trop soif de pouvoir et de luxe pour s'abaisser au niveau d'un forgeron. Il avait entendu des rumeurs comme quoi elle s'était faite disgracier par son père à cause de son mauvais tempérament. Ou encore qu'elle eût été retrouvée en situation compromettante avec le forgeron en question et s'était vue par conséquent obligée de l'épouser enfin de sauver son honneur et celui de sa famille.
À l'époque, Byrne n'avait pas particulièrement prêté attention à tous ces ragots et commérages. En décidant de quitter Belle, il avait ainsi décidé de rejeter et d'ignorer tout ce qui se rapprocherait d'elle ou la concernerait de près ou de loin. D'une certaine manière il avait eu le cœur brisé mais c'était très vite relevé de ses blessures et avait dès lors travaillé d'arrache-pied et avait pu être élu à la chambre des communes puis de là il avait progressé jusqu'à devenir ministre. Son travail acharné était sa fierté et sa famille, son orgueil.
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La Courtisane de Andover
Ficción históricaMarkus Cavendish, duc de Devonshire est un homme séduisant et aussi riche que Crésus. Il est considéré comme le meilleur parti pour les jeunes célibataires. Mais son seul défaut : il est un homme à femme. Étant le dernier Cavendish encore en vie, il...