La sonnerie invitant les enfants à se réunir devant la porte de leur classe venait de retentir. Anne Taylor, institutrice depuis une vingtaine d'années à la prestigieuse St Andrew Primary School apparût sur le pas de la porte. Elle posa un regard attendri sur ses élèves abandonnant à contrecoeur leurs jeux d'enfants ou se chamaillant pour un dernier bonbon. D'un simple geste de la main elle leur ordonna de se mettre en rang.
Sa silhouette élancée associée à une allure maîtrisée lui donnait un air bourgeois. La cinquantaine bien entamée, elle suscitait le respect et l'admiration de ses confrères, dirigeant d'une main de fer l'école fondée, il y a près de deux cent ans, par son ancêtre Andrew Rosebury.
Les rires et les éclats de voix des enfants s'estompèrent lorsque se montra, timidement, derrière elle une petite tête blonde. Quelques mèches s'échappaient de sa queue de cheval et venaient encadrer son visage malicieux. Elle avait déjà revêtu l'uniforme de l'école. La robe corolle lui donnait un air de poupée. Elle nous observait de ses grands yeux noisette fendus en amande. On ne pouvait que la dévisager et ces regards insistants ne faisaient qu'accentuer la couleur naturelle de ses pommettes.
Sous les regards bienveillants de l'institutrice et de l'homme qui devait être son père ; elle s'approcha de nous, d'un pas hésitant, avant de lâcher d'une voix tremblante et presque étouffée un « Je m'appelle Zoe ». Personne ne répondit, même Lottie, la plus bavarde de la classe, ne trouva rien à dire.
Mais qu'est-ce qu'on pouvait ajouter ? A ce moment précis, on ignorait encore que cette petite fille ferait tant parler. On ignorait encore que tout allait changer. Et c'était peut-être mieux ainsi. Après tout, à huit ans, on est innocent et insouciant. On ignore simplement que ça ne durera pas.
Les jours passèrent et la vie avait repris son cours à St Andrew. Zoe s'était vue attribuer une place au fond de la classe, habituellement réservée aux élèves quelque peu perturbateurs. Elle était pourtant l'exact opposé ; restant muette face aux interrogations de Miss Taylor, on aurait pu croire qu'elle n'était pas spécialement douée pour l'anglais ou les mathématiques mais elle collectionnait les A. Etrange, puisqu'elle semblait si souvent ailleurs, son esprit vagabondant par-delà la fenêtre de la classe. Même le dessin semblait l'ennuyer et ce n'était rien à côté des jeux mis en place par Miss Taylor chaque vendredi. Tous les élèves attendaient ce jour avec impatience. Elle proposait du sport, des chasses aux trésors, de la peinture mais Zoe avait l'habitude de rester en retrait, observant avec détachement deux filles se battre pour le trésor qui n'était qu'un collier de perles.
Cela faisait presque un mois qu'elle était arrivée. Un mois passé à quelques mètres d'elle sans jamais lui parler. Il y avait quelque chose de troublant chez Zoe Baker : la douceur d'un visage d'ange dissimulant la force du dragon. Quelque chose de déroutant. Fascinant. D'unique et singulier. Quelque chose qui à l'âge de huit ans m'a bouleversé et que je ne parviens toujours pas à expliquer vingt ans plus tard.
C'est ainsi qu'un matin, à la récréation, emmené par un courage flamboyant et une âme triomphante ; je suis allé lui parler. Elle était assise sur l'une des balançoires de la cour de l'école, seule, comme à son habitude. D'une démarche assurée, pour dissimuler tout le trouble qu'elle me causait ; je m'assis sur la nacelle d'à côté. Elle souriait. Mais ce n'était pas le simple sourire qu'affichait la plupart des filles à qui vous portiez un quelconque intérêt, par pure gentillesse comme vous l'avait appris votre mère... Non, c'était bien plus qu'un sourire ; c'est comme si son visage tout entier s'illuminait. Cela donnait davantage de profondeur à son regard malicieux et ses fossettes se faisaient plus marquées.
Bien sûr, j'ignorais à cet instant que cette conversation marquerait le début d'une grande amitié ; une complicité à toutes épreuves, dans le jeu comme dans l'adversité. Alors je me risquai à poser une première question.
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Sixteen ways to Turn
General Fiction"A l'âge de huit ans disparaissait la petite Zoe Baker. Après des mois d'enquête, Scotland Yard se résigna à classer l'affaire." ...