Chapitre VI : Mon nom est personne

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Sixteen savourait un café serré lorsqu'elle sentit l'étreinte d'Adam. Il lui glissa un baiser dans le cou, lui susurrant un « Bien dormi ? ».

- Plus ou moins... Admit-t-elle en plongeant un regard contrarié dans celui qui parvenait pourtant à l'apaiser.

Il lui adressa une moue interrogative. Elle se contenta d'enfouir son visage au creux de son cou, pensant sûrement éviter toutes justifications. Mais Adam persista et Sixteen avoua, presque honteusement, telle une enfant de huit ans, ses rêves troublants.

- Je fais des rêves étranges en ce moment...

- Quel genre de rêves ? Reprit Adam intrigué.

- Des lieux... Je n'y ai jamais mis les pieds et j'y vois des gens que je ne connais pas...

- Une imagination débordante !? Rétorqua-t-il légèrement amusé.

- Il faut croire.

La réponse de Sixteen lui effaça le léger sourire qu'il affichait. Il ressentit dans le ton de sa voix l'immense fatigue qu'elle éprouvait. Ces nuits passées à demi-réveillée, et ces journées entières l'esprit préoccupé semblaient l'accabler. Et si elle n'avait jamais osé en parler, le regard bienveillant d'Adam semblait l'aider à se dévoiler.

- Je suis dans une véranda... A travers la verrière, je vois une fontaine en granit. Deux enfants sont assis sur le bord, ils jouent avec un petit chien ; un jack russel. Ils se ressemblent beaucoup, ils sont sûrement frères.

Le regard de Sixteen semblait si lointain, si perdu. A cet instant elle ressentait à peine les caresses d'Adam dans ses cheveux. Comme prisonnière de ce rêve, elle ne pouvait s'en libérer, revivant constamment son périple dans ces décors méconnus.

- Et la maison ? Tenta de poursuivre Adam, quelque peu troublé lui aussi.

Sixteen se retira de ses bras. Lui tournant à présent le dos, elle réfugiait son regard dans cette petite rue piétonne, à demi-visible de la fenêtre de la cuisine. Sans pour autant les voir, elle ressentait les yeux insistants d'Adam, tentant de percevoir ce qu'elle renfermait au plus profond d'elle-même. Mais qu'est-ce qu'il croyait ? Ce n'est pas en lui racontant ses tourments qu'il allait comprendre ce qu'elle-même ne parvenait à expliquer. Et pourtant elle continuait, elle persistait à révéler ce qui depuis trop longtemps la torturait.

- Je ne vois pas l'extérieur mais il me fait penser à un de ces manoirs victorien. La salle à manger est immense, presqu'aussi grande que cet appartement, elle surplombe le jardin, il y a un étang et un peu plus loin on aperçoit une forêt.

- Il n'y a pas un détail, une statue, la décoration ou tout autre chose qui t'interpelle ? S'exclama Adam, comme presque impatient de découvrir quelque chose : quelque chose d'excitant, d'intriguant.

- Il y a un tableau au-dessus de la cheminée... C'est assez étrange, on dirait les jardins suspendus de Babylone façon jardin d'Eden... Et il y a cette phrase, inscrite en bas du tableau... « Quelque part... au-delà du bien et du mal...

- Il y a un jardin. Je t'y rejoindrai. ».

Il termina sa phrase comme s'il avait pu voir ce tableau. Comme s'il ressentait le poids de chacun de ces mots. Un silence profond s'était élevé dans la pièce, seul le tic-tac d'une vieille horloge de gare y faisait écho.

Sixteen, tiraillée entre rêve et réalité se voyait prisonnière de ses mouvements. Les muscles crispés, les lèvres pincées, elle osait à peine se retourner, faire face à celui à qui elle s'était confiée. « C'est une citation du poète Rûmî ». Elle n'eut aucune réaction, aucune émotion. Adam, lui, était envahi d'un sentiment d'excitation, une sorte de fascination.

Sixteen ways to TurnOù les histoires vivent. Découvrez maintenant