« Quand la violence cause le silence. »
Victor Collins grimpa dans l'Eurostar de 18h04, il en descendit à Londres une heure trente plus tard, hanté par le souvenir de Larry Baker. Il revivait à travers ces rues qu'il avait si souvent foulées cette vie qu'il avait préféré oublier.
Une angoisse désagréable le tiraillait, fruit de sa culpabilité. Il redoutait plus que tout le moment où il affronterait le regard de sa fille Sixteen, mais étonnement, il multipliait les raccourcis menant directement à son appartement. Il redoutait ce que sa culpabilité le faisait espérer depuis une vingtaine d'années. Et il craignait ce qu'il avait désespérément tenté d'éviter il y a vingt ans : perdre sa fille. Et c'est le cœur serré qu'il sonna à la porte de sa petite Zoe.
Sixteen lui ouvrit, il la connaissait trop bien pour savoir que ses yeux légèrement rougis trahissaient des larmes venant à peine de sécher. Elle l'invita à entrer, demeurant silencieuse, évitant le regard blessé de son père.
Elle se réfugia au fond de ce canapé qu'elle ne parvenait plus à quitter, les yeux rivés sur un cadre brisé. Les morceaux de verre éparpillés sur la table basse se mêlaient aux cendres d'une photo brûlée, tel un souvenir sacrifié pour se soulager. Larry ne pouvait se résoudre à quitter des yeux celle qu'il tenait tant à protéger. Mais il ne savait déceler chez sa fille la tristesse, la colère ou la révolte.
Il s'assit face à elle, espérant un regard, un geste, mais la distance qui les séparait actuellement lui paraissait immense. Et comme pour briser ce silence qui l'insupportait, il la félicita pour son article de la semaine. Sa lecture avait occupé son voyage dans ce train qui l'avait rapproché d'elle pour mieux l'en éloigner. Il avait reconnu sa fille en chacun de ses mots, de son esprit contestataire à son humour parfois grinçant. Il en était fier, et cette profonde admiration lui faisait oublier que cet article n'avait pas été signé du nom de Zoe mais de Sixteen H. Collins.
Il observa chez elle un léger sourire, à peine marqué, dévoilant un peu plus ses fossettes enfantines. C'était sa façon à elle de gérer la douleur ; certains crient, d'autres pleurent, mais elle, elle souriait, d'un sourire non forcé, à demi-dessiné. Mais pouvait-il seulement croire en son pardon ?
Il avait à peine remarqué le mouvement d'un vieux tourne disque dont Sixteen ne pouvait se séparer. Ce n'est qu'en entendant les premières notes d'une chanson qu'il y prêta attention. Il en connaissait chaque sonorité pour l'avoir entendue des centaines de fois. Sixteen, elle, demeurait silencieuse, comme portée par cette mélodie.
La perception illusoire d'un évènement est communément appelée une hallucination. Mais où était l'illusion dans cette scène ? Etait-ce seulement le jeu cruel des apparences ?
- T'écoutais cette chanson en boucle étant ado... Lâcha Larry comme une énième tentative visant à briser ce silence qui le torturait.
"And maybe, I'll find out a way to make it back someday. To watch you, to guide you, through the darkest of your days." *
Larry comprit à cet instant tout le sens de ces mots, tandis que Sixteen parvenait enfin à l'expliquer. Mais y avait-il réellement un moyen de réparer tout cela ? Larry l'espérait, Sixteen s'y refusait. Etait-ce une simple vision, une illusion? Des mots dénués de sens, un acte porteur de sens ?
- Tu ne crois pas qu'il serait bien d'en parler ?
Larry se faisait plus insistant, plus impatient, tenant plus que tout à justifier ce que Sixteen jugeait injustifiable.
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Sixteen ways to Turn
Fiction générale"A l'âge de huit ans disparaissait la petite Zoe Baker. Après des mois d'enquête, Scotland Yard se résigna à classer l'affaire." ...