Chapitre III : A la recherche du temps perdu

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Quelques jours avaient passé. Ils avaient tous deux repris le cours habituel de leur vie. Le calme et la plénitude des lectures ennuyeuses pour l'un et la quête effrénée d'une chronique encore jamais écrite pour l'autre.

Quelques jours s'étaient écoulés mais pas assez pour trouver le courage de classer, une ultime fois, l'affaire Zoe. Les coupures de presse, les photos et quelques journaux étaient venus s'entasser sur un coin du bureau. Gavin Johnson n'avait cessé de remettre à plus tard l'instant où ses souvenirs regagneraient leur boîte et cette boîte son tiroir.

Sixteen Collins, elle, avait passé ces trois jours à contempler le visage de la petite Zoe. Et Adam Turner voyait, pour la énième fois, dans les descriptions d'un de ses auteurs le portrait de Zoe Baker. Leurs vies avaient repris leur cours. Rien n'avait changé ; le souvenir de Zoe restait intact pour l'un et l'affaire Baker demeurait un mystère pour l'autre. Et parfois, leur mémoire, fatiguée de lire et relire sans cesse les mêmes souvenirs, rejouait leur première conversation. Mais ce morceau, rythmé de notes mélancoliques, ne satisfaisait plus l'éditeur. N'ayant pas déniché le roman digne d'intérêt qui l'empêcherait d'y penser, il se décida à s'écrire un nouveau souvenir.

Ainsi, en fin d'après-midi, il alla pousser la porte du bureau de Sixteen Collins. Les traits d'un sourire à peine marqué se dessinèrent sur le visage de la jeune femme ; mais se refusant à admettre que cette visite inattendue l'enchantait, elle gomma toute expression de joie. Adam n'était pas dupe, il avait perçu chez elle l'esquisse d'un regard rieur que son orgueil n'avait pu effacer.

Il avait déjà constaté chez elle cette fierté impertinente terriblement séduisante. Il avait la même. Et cette fierté le poussait à lui prouver qu'elle se trompait ; il voyait déjà l'instant où Sixteen Collins reconnaitrait publiquement ses talents d'éditeur. « Qu'est-ce que c'est ? » demanda-t-elle simplement à la vue de l'imposant carton qu'il avait ouvert sous ses yeux.

- La preuve irréfutable, que vous vous trompez sur les Editions Davis ! Répondit-il, visiblement convaincu de ce qu'il avançait.

Adam tenait entre les mains une dizaine de romans qu'il avait publiée. Quelques-uns de ses préférés : ceux qui l'avaient bouleversé, ceux qu'il n'avait jamais oubliés. Il espérait, en son for intérieur qu'elle éprouverait la même chose. Non pas pour ses éditions, ni pour sa réputation mais parce qu'il souhaitait, au plus profond de lui-même, qu'elle ressente ce qu'il avait ressenti en les lisant.

Le regard de la jeune femme laissait entrevoir l'intérêt qu'il avait suscité chez elle ; comme si une minuscule étincelle était venue illuminer l'iris de ses yeux. Ces petites fenêtres laissaient transparaître toute la passion de son âme. Face à cet invisible spirituel, il se tût. C'est en se libérant du regard hypnotique de Sixteen qu'il revint peu à peu à la réalité.

Obnubilé par ses romans, il n'avait accordé aucune attention aux vagues d'articles déferlant sur le bureau de la jeune femme. Mais lorsque son regard accrocha la couverture d'un livre refaisant surface, il sombra dans l'océan de ses souvenirs. Il n'apercevait que quelques centimètres de l'ouvrage mais les quatre-cent-vingt-deux pages de celui-ci défilaient dans son esprit. Il ne l'avait pas publié mais il en connaissait l'histoire dans les moindres détails.

Acheté en dix exemplaires et lu des centaines de fois, ce roman était le faisceau lumineux éclairant l'immense trou noir qu'était la disparition de Zoe. Adam n'avait jamais pu l'oublier. Il se rassurait à penser qu'il n'était pas le seul.

- Vous vous intéressez à l'affaire Baker ? Demanda-t-il, espérant une réponse positive.

- Je lis seulement quelques articles sur le sujet.

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