L'écho des cloches de Big Ben résonnait dans Londres. La célèbre tour de l'horloge venait de sonner dix heures. Au trente-sixième étage d'un des grattes ciel de la City, les bureaux du London's Eyes Mirror étaient en effervescence. Journalistes et chroniqueurs s'adonnaient à leurs tâches quotidiennes ; certains consultaient la bourse tandis que d'autres interrogeaient leurs sources tenues secrètes.
Sixteen Collins, nouvelle recrue de l'illustre quotidien lisait attentivement les titres du jour. Adossée à l'encadrement de la porte de son bureau, la jeune femme se passionnait pour un fait divers passé demeuré un mystère. Elle n'apercevait pas le regard bienveillant qui venait de se poser sur elle.
Voilà presqu'un an qu'elle partageait le bureau de l'illustre Gavin Johnson. Séduit par sa personnalité surprenante et son caractère bien trempé, il avait choisi de lui donner sa chance. Il ne fut pas déçu ; en quelques mois, ses chroniques mordantes, teintées d'humour et de psychologie avaient conquis les lecteurs du London's Eyes Mirror. Il avait découvert sa spontanéité, sa vivacité d'esprit à travers la lecture de sa thèse sur « la culture de la guerre dans la construction de la paix ».
Voilà cinq minutes déjà qu'il l'observait lire et relire avec la plus grande attention la une du journal. Elle s'en détacha peu à peu, demeurant silencieuse quelques instants ; profondément touchée, quelque peu troublée.
- C'est triste de voir qu'après vingt ans on ne sait toujours pas ce qui est arrivé à cette petite fille... Pas plus qu'à son père d'ailleurs. Zoé Baker vient s'ajouter à la longue liste d'enfants disparus.
Gavin ne put qu'acquiescer. Vingt ans ne lui furent pas suffisants pour l'accepter. Il avait espéré qu'avec le temps, le visage angélique de la petite Zoe cesserait de le hanter. Plus que son visage, son destin ne cessait de le tourmenter. Et dans ses jours les plus sombres, Gavin se surprenait à relire les journaux de l'époque. Il n'avait pu s'empêcher de les conserver, aussi précieusement qu'un trésor toujours recherché. Mais il semblait à présent souhaiter le partager ; pour se soulager, se souvenir, ne jamais oublier. A ses yeux, seule Sixteen en était digne.
La jeune femme lui adressa une moue interrogative en observant cette boîte qu'il portait avec toute la peine du monde sur un coin du bureau. « Tout ce qui a été écrit sur l'affaire Baker ; le vrai, le faux depuis vingt ans ! » lâcha-t-il avec une aigreur et un mépris qu'elle ne lui connaissait pas. C'était pour lui le goût amer de la culpabilité.
- Comment peux-tu croire ce qui est vrai et être sûr de ce qui est faux ? Se risqua-t-elle à demander, quelque peu gênée.
- A l'époque j'étais chargée de couvrir l'enquête. Ce n'est pas évident ce genre d'affaire quand tu débutes. D'un côté il y a les faits, les preuves... Et de l'autre ton ressenti, ton intuition. Et au centre, les lecteurs et leur opinion.
- Mais t'es censé rester neutre en tant que journaliste.
Gavin Johnson esquissa un léger sourire. Il ne pouvait être que bienveillant face à cette remarque. Après tout lui aussi avait débuté, lui aussi à cet âge pensait que tout était simple ; qu'il suffisait de suivre les règles et les théories apprises à l'école. Suivre la ligne droite dessinée, sans écarts, sans faux pas. Mais avec près de trente ans de métier, trente années passées à imaginer ce qui serait juste, constater ce qui ne l'était pas et s'accommoder de ce qui ne l'était plus, il avait appris à déroger à la règle. Il faisait aujourd'hui fi des normes et des conventions, se moquant du politiquement correct. Gavin Johnson était devenu l'un de ses journalistes écrivain décrié autant qu'admiré.
- Ça c'est en théorie mais dans la réalité tout n'est pas si simple, t'es forcément touché par les faits. T'as envie de comprendre... Alors tu mènes ton enquête en parallèle.
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Sixteen ways to Turn
Genel Kurgu"A l'âge de huit ans disparaissait la petite Zoe Baker. Après des mois d'enquête, Scotland Yard se résigna à classer l'affaire." ...