Je sursautais et ouvris les yeux. Comme si j'avais eu un mauvais pressentiment pendant mon sommeil, et ce fut le cas à mon réveil. J'eus à peine le temps de réaliser la situation : la voiture roulait sur un pont et raclait la barrière de sécurité, d'où les secousses que j'avais ressenties. Pris de panique devant cette tragédie, je tournais la tête sur ma gauche et constatais que Deagan s'était endormi au volant. Putain ! Sérieux ! Impossible pour moi de faire quoi que ce soit. Paralysé par des souvenirs de cette nuit horrible : la mort de mes parents dans les mêmes circonstances.
Je sentis ma respiration s'intensifier, toujours incapable de bouger. Conscient qu'il fallait agir, j'inspirai et secouais Deagan afin qu'il se réveille, en vain. Qu'est-ce qu'il avait pris, bordel ! Je jetais un œil autour de moi, aucun véhicule à l'horizon.
La voiture continuait sa course folle, et à force de frôler le béton des étincelles apparurent côté passager.Merde ! On allait crever si je ne faisais rien !
Je me détachais en vitesse, la peur au ventre de revivre le cauchemar qui s'était déroulé un an auparavant. Je poussais Deagan et au moment où je tentais de mettre mon pied sur le frein, mes yeux se relevèrent sur la route où un énorme poteau électrique se profilait sur notre chemin.
Trop tard pour l'éviter. À la vitesse à laquelle nous allions, notre chance de survie serait quasi nulle. Dans la précipitation je me couchais sur mon frère pour le protéger. Un énorme choc me bousilla le dos, une douleur me coupa le souffle puis je perdis connaissance.***
— Il a eu un grave accident. Malgré les circonstances, je crois qu'une bonne étoile veille sur lui, là-haut. Laissons-le encore se reposer.
Si mon heure n'était pas venue, je devais l'attendre. Attendre que la mort ait l'obligeance de venir me chercher. Dans mon cas, elle m'arracherait à un monde où plus rien n'avait de sens. Où la mélancolie, les regrets et la rage s'étaient infiltrés dans mes pores pour ne plus me quitter. Je nageais en eaux troubles, prêt à rejoindre les abysses de cet océan bien trop vaste et complexe qu'était la vie. Beaucoup s'y rattachait, avec cette peur de l'inconnu mais pour ma part, couler à pic ne me dérangeait pas. J'allais rejoindre ceux que j'aimais, ceux qui m'avaient été enlevé de manière si injuste.
On ne choisissait pas de venir au monde, mais on pouvait choisir la manière dont on souhaitait le quitter.
Alors j'attendais la mort sans crainte, sans peur mais plutôt avec sérénité. Une sorte de délivrance.
— Il revient tout doucement à lui, dieu merci. Nous allons procédé aux différents examens. Son ami nous a dit que sa mère était en route. Quant à ce pauvre garçon, il n'a plus ses parents.
— Si jeune, c'est terrible. Ah, voilà monsieur Keller.
Comme par magie, en entendant le nom de famille de Deagan j'ouvris subitement les yeux. Puis une toux violente survint et j'eus duu mal à respirer. Putain, je souffrais dans tout le dos.
Une des infirmières se précipita vers moi.— Du calme, ça va aller. Vous revenez de loin mais je vais vous donner de quoi soulager la douleur.
— Hé, mon pote. Salut.
Je tournais les yeux vers mon meilleur ami et observais son visage. Il avait quelques ecchymoses, une blessure au-dessus de l'arcade, une lèvre fendue et un énorme bleu sur la joue. Mes yeux descendirent sur son corps et j'aperçus son pied dans un plâtre. Je serrais la mâchoire et commençais à m'agiter.
— T'inquiète, mec. Tout va bien. Reste tranquille.
L'infirmière et son acolyte nous informèrent qu'elles repasseraient plus tard. Une fois seuls, Deagan s'assit sur une chaise et planta son regard dans le mien. Il semblait paniqué ou plutôt perdu.
— Putain je suis désolé. On aurait pu crever, bordel ! Je... J'ai pas fait gaffe, tu sais. Je... Dis quelque chose. Moi je me sens tellement coupable, je te demande pardon. Allez, mec. Dis-moi un truc, dis-moi que tu m'en veux parce que je le mérite ! Je sais que tu n'aimes pas parler mais là c'est différent.
Je fronçais les sourcils, ne sachant pas où il voulait en venir. Non, je ne m'exprimais plus depuis le choc suite à la perte de mes parents. Putain, leur disparition m'avait fait péter les plombs. Le jour de l'enterrement j'avais tellement hurlé que ma voix s'était brisée. Pour toujours.
— Tu m'as sauvé. Les pompiers ont... Ils ont dit qu'au moment où ils nous ont trouvé, tu étais allongé sur moi. Tu m'as protégé, putain. Je te serai éternellement reconnaissant, frangin.
Je souris, certain qu'il aurait fait la même chose pour moi. Depuis un an, il me couvrait pour pas mal de mes conneries et m'aider comme il pouvait à remonter la pente. En fait, je ne parlais que dans les cas extrêmes mais au moment de notre accident, je n'avais pas su m'exprimer.
— On va s'en sortir, lâchais-je subitement pour le rassurer.
Le visage de Deagan devint livide et je compris tout de suite que quelque chose clochait. Ses paroles me revenaient en tête. Il s'était excusé. Pour l'accident, je l'avais bien compris. Mais il y avait-il autre chose derrière ? Soudain, la porte s'ouvrit à la volée laissant apparaître deux hommes.
— Bonsoir, messieurs. Deagan Keller, je suis le lieutenant Loyd. Nous vous arrêtons pour conduite sous emprise de substances illicites, ayant causé un grave accident de voiture et la paralysie de votre ami.
Je fronçais les sourcils, le cœur battant. Quoi ? Putain je ne comprenais plus rien. Paralysé ? Moi ? Les flics obligèrent Deagan à se mettre debout mais ne lui passèrent pas les menottes. Ce dernier me regardait, en équilibre sur ses béquilles.
— Je suis désolé, mon pote. J'aurai dû être à ta place. Pardonne-moi ! Jamais je n'ai voulu ça ! Jamais !
À ce même moment, Keyla entra dans la chambre. Les policiers la laissèrent parler avec son fils avant d'être contrainte de se séparer de lui. Deagan criait encore en quittant la pièce. Il me demandait de l'excuser, qu'il s'en voulait terriblement. Confus, j'observais Keyla s'approcher de moi, les larmes aux yeux. Une de ses mains se posa sur la mienne, l'autre atterrit sur mon front.
— Je suis contente que tu sois encore vivant. Nous allons affronté la situation ensemble. Je ne te laisse pas tomber.
Soudain, les mots du flic résonnèrent encore dans ma tête.
"Ayant causé un grave accident de voiture et la paralysie de votre ami."
J'arrivais à bouger tous mes membres supérieurs, puis mes yeux se posèrent sur mes jambes. Elles avaient beau être présentes, il m'était impossible de les mouvoir. Quoi ? C'était quoi ce bordel ?
Putain, j'étais paralysé ! Non ! Non, merde !
— Ça ira, je suis là, me rassura Keyla.
Malheureusement je ne l'entendais pas. J'étais déjà loin, complètement à la ramasse.
La mort avait pris mes parents l'année dernière et je pensais qu'elle m'avait épargné. Mais pas du tout. Elle avait toujours été là, attendant, scrutant le moment assez opportun pour d'abord me blesser. Ensuite elle me prendrait petit à petit, en commençant par m'empêcher de marcher à nouveau.
Il ne me restait plus qu'à me laisser couler dans cet océan. Aussi profond était-il, rien ne pourrait me ramener à la surface.
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Au-delà de ton silence
Storie d'amoreJ'avais tout. Star de l'équipe de football, fils unique, des parents aimants, la vie me souriait et l'avenir semblait prometteur. Mais quand on croit briller parmi les étoiles, la chute au sol est redoutable. Il ne reste plus rien, mise à part les...