Deux jours plus tard...
— Monsieur, vous êtes paraplégique.
Assis dans mon lit, l'annonce du médecin m'avait cloué sur place. D'ailleurs, il n y avait pas meilleur jeu de mots puisqu'à présent j'avais besoin d'un fauteuil roulant. Une putain de chaise allait me permettre de me déplacer durant le reste de mes jours. Après cette annonce, j'ignorais si je réalisais l'ampleur de la situation. La seule chose que je savais était que ma vie serait définitivement merdique. J'avais tout perdu le soir de l'accident.
Encore aujourd'hui, le médecin était dans ma chambre d'hôpital avec Keyla. Ils n'arrêtaient pas de parler et ça me cassait les burnes. J'avais juste besoin d'être seul pour affronter la situation, faire le vide et penser à mon avenir. Désormais, tout était remis en question.
— Nous pouvons t'aider à aller mieux, me rassura le docteur en se tournant vers moi. Nous mettrons tout en œuvre. Il faudra du temps, voire des années, de la rééducation, beaucoup de courage et de volonté. Mais nous y arriverons.
Keyla me regardait avec insistance et je signais :
"Ou alors je n'ai qu'à me foutre en l'air et tout sera arrangé."
— Je t'interdis d'avoir ce genre de pensées ! s'exclama-t-elle.
Je soupirais. Comme si elle pouvait s'introduire dans ma tête et m'empêcher de penser quoi que ce soit.
— Est-il prêt à coopérer ? demanda le docteur Starlik.
— Évidement. De plus, vous avez spécifié que la paralysie n'était que partielle.
— Oui, néanmoins si votre fils n'y met pas toute sa volonté, son état pourra s'aggraver. Il faut absolument suivre le protocole. D'accord ?
Keyla approuva d'un vigoureux signe de la tête puis tourna son visage vers moi. J'étais resté sur les paroles du médecin : "Votre fils".
Elle n'avait pas relevé ce détail. Alors je restais un membre de sa famille malgré tout ? Mais à quoi bon ? Je ne servais plus à rien. Son vrai fils, lui, aurait besoin d'elle. Moi, je pourrais pourrir tranquille dans un coin.
— Je vais me charger personnellement de lui. Et nous réussirons à aller de l'avant.
Keyla posa sa main sur la mienne. Je me dégageais rapidement. D'habitude, je ne me laissais pas toucher. À quelques exceptions près. Elle ne devait pas prendre ces exceptions pour argent comptant. Plus maintenant. Je signais "merci" au médecin bien qu'il ne comprenait pas le LSF puis lui demandais de me transférer dans mon fauteuil. Il s'exécuta, aidé de Keyla, puis je sortis de la pièce... en roulant.
En temps normal, j'aurai même claqué la porte pour montrer mon agacement mais ce geste comme beaucoup d'autres m'était impossible désormais.
Dans les couloirs de l'hôpital, je fus tout de suite confronter à ce que seraient les prochains jours. Regards compatissants, gênés, fuyants.Je restais figé au milieu de tous ces gens normaux alors que je ne l'étais plus. Je fixais les jambes des personnes qui déambulaient de droite à gauche et vice versa. Elles allaient et venaient à leur guise, sans aucune contrainte.
— On y va mon grand, j'ai énormément de choses à t'expliquer.
La voix de Keyla interrompit mes pensées. Elle s'enquit de pousser mon fauteuil mais j'avançais rapidement pour l'en empêcher. J'étais handicapé des jambes, pas des mains. Et en pensant à cela, en voyant les gens m'éviter dans le couloir, quelque chose se brisa en moi. Si jusqu'à maintenant j'avais tenté de garder la tête haute, me confronter à la réalité venait de m'achever.
Je cessais de rouler mon fauteuil, posais mes yeux sur mes cuisses avec la volonté de me lever. Prouver à tous que je n'étais pas différent. Mission impossible. Alors je serrais les dents, ma respiration s'accélera tandis que la fureur arpentait mon corps. La silhouette de Keyla apparut dans mon champ de vision.
— Tu es plus fort que ce que tu ne penses. Tu n'es pas seul. Laisse-moi t'aider s'il te plaît. Ne me rejette pas. Nous avons besoin l'un de l'autre.
Ces paroles me réconfortèrent assez pour la laisser me pousser jusqu'aux portes coulissantes de l'hôpital. Ça n'était que le début d'une longue bataille. La vraie question était de savoir si j'étais prêt à la combattre ou si elle était perdue d'avance.
***
Je recrachais la fumée de ma cigarette en direction d'un ciel constellé d'étoiles. Fumer me permettait de m'évader le temps de quelques taffes. La sensation de plénitude que je ressentais n'avait pas changé, alors j'en profitais pleinement.
Mes bras pendaient au-dessus de la rambarde du balcon de l'hôtel et je regardais la bague placée à mon annulaire droit. Offerte par mon père, c'était une tradition perpétuée depuis plusieurs années dans notre famille. Elle était censée nous protéger mais au vu des circonstances, j'avais plutôt envie de la balancer dans le vide.
Après sa douche, Keyla m'expliquerait l'organisation des prochains jours. Nous étions à une heure et demie de la maison et à une heure de l'université. Quel choix allais-je faire ?
Pour l'heure, seul, ruminant avec ma conscience je repensais à Deagan. À l'accident qu'il avait causé, à ma vie qu'il avait foutu en l'air. Les flics avaient parlé de substances illicites mais il avait arrêté d'en consommer. Alors merde, pourquoi avait-il replongé ? On se disait tout. Nous n'avions aucun secret l'un pour l'autre et pourtant.
Je soupirais.
Lorsqu'on pensait connaître une personne on ne voyait finalement que ce qu'elle désirait bien nous montrer. Son âme, son essence restait intouchable. Et quand une douloureuse vérité éclatait au grand jour on se rendait compte à quel point on avait été dupé. C'était le cas avec celui que je pensais être mon frère.
— Tout va bien ? As-tu besoin de quelque chose en particulier ? Tu as à peine toucher à ton assiette.
Je me tournais vers Keyla. Son visage était voilé de tristesse, d'inquiétude. Son fils était en prison, moi en fauteuil roulant. Il y avait quand même mieux comme existence pour une femme de 39 ans. À la maison, Deagan lui faisait la conversation. Du moins, il était toujours présent pour elle. Dorénavant nous serions que tous les deux, et ce constat m'obligea à faire un effort.
— Keyla, fous-moi dans un centre. Laisse-moi tranquille. Tu as autre chose à faire. C'est bon, je ne t'en voudrais pas.
Keyla s'approcha de moi. Elle m'observa quelques secondes avant de s'agenouiller et me regarder droit dans les yeux.
— Si je t'entends dire à nouveau une connerie pareille je risque de me mettre sérieusement en colère tu m'entends ?
Chacune de ses mains était posée sur les accoudoirs de mon fauteuil. Ses yeux bleus ne cessaient de me fixer avec dureté.
— Après la mort de tes parents j'ai juré de m'occuper de toi. Pendant un an je t'ai traité comme mon fils et je continuerai à le faire jusqu'à mon dernier souffle, compris ? Maintenant, plus que jamais.
Elle se releva puis me poussa vers le canapé. Je la regardais s'assoir en face de moi. Je voulais la serrer dans mes bras, lui dire à quel point j'étais désolé d'avoir bousillé sa famille. Mais aucun son ne sortit de ma bouche. Je me contentais de l'écouter lorsqu'elle ouvrit la sienne.
— Bon, j'ai discuté avec une amie. Elle vit à une demi-heure d'ici, dans une propriété immense. Je peux travailler pour elle et en contrepartie elle nous offre le gîte. Juste à côté se trouve un centre de... Enfin, tu vois, c'est un endroit où tu pourras faire ta rééducation. Avec ce salaire je pourrai payer le centre.
Tout de suite, je signais :
"Non, hors de question que tu mettes ta vie entre parenthèse pour moi. Laisse-moi retourner à la maison. Je suis un poids, tu n'es pas obligée de m'accompagner dans toute cette merde. Je refuse."
À ma grande surprise, elle me sourit.
— Je savais que tu dirais ça. Ma décision est prise. Nous partons demain matin.
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Au-delà de ton silence
RomanceJ'avais tout. Star de l'équipe de football, fils unique, des parents aimants, la vie me souriait et l'avenir semblait prometteur. Mais quand on croit briller parmi les étoiles, la chute au sol est redoutable. Il ne reste plus rien, mise à part les...