7- Se rendre à l'évidence

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Après avoir ruminé pendant plusieurs minutes, je décidais d'écouter Keyla. Elle avait toujours été là pour moi. Depuis un an, elle supportait ma mauvaise humeur, mes états d'âmes et parfois ma folie. Bon gré, mal gré, je lui devais bien ça. Pour finir, alors que je n'étais qu'un con fini, la mère de Deagan avait tenu à me prendre sous son aile après ce foutu accident. Afin de m'aider à m'en sortir. Je devais me rendre à l'évidence. Il n y avait plus personne dans mon entourage, dans ma nouvelle vie à part cette femme.

Je pris l'ascenseur, descendis et les portes débouchèrent sur le hall. Personne à l'horizon mais des voix m'indiquèrent que tout le monde se trouvait dans la pièce en face de moi. Je soufflais un bon coup, avançais et tombais nez à nez avec Keyla.

— Oh, tu es là, super ! Je guettais l'ascenseur depuis tout à l'heure. Viens !

Sans que je ne réponde, elle se plaça derrière moi et me poussa. Sur ma droite il y avait une table dressée avec soin, sur ma gauche un salon composé de trois canapés, deux tables basses et un tapis d'époque. La cheminée était allumée juste à côté d'une porte par laquelle les domestiques allaient et venaient pour disposer les plats sur l'immense table recouverte d'une nappe blanche immaculée.

— Je t'ai gardé une place, me signifia Keyla en m'avançant vers la table.

Il y avait déjà Anna-Beth, qui discutait avec Anita. Non loin de là, Madame Van Hooken était au téléphone mais lorsqu'elle raccrocha ses yeux tombèrent sur moi.

— Soan ! Vous voilà enfin. Vos quartiers vous conviennent-ils ? Oh Keyla, je vous laisse lui traduire mes propos.

Cette dernière me jeta un regard et je compris tout de suite qu'après avoir passé quasiment un an à utiliser la langue des signes, il me fallait m'exprimer autrement. Je n'avais pas envie de discuter, ni de faire d'effort.
Keyla s'assit à mes côtés, me donna un coup de coude, et je déclarais simplement :

— Oui, madame.

— Bien, bien, bien ! Parfait. J'espère que tu as faim. N'hésite pas à manger à ta guise et sois le bienvenu.

Je hochais la tête. Mes yeux tombèrent sur ceux d'Anna-Beth qui m'observaient méticuleusement. Elle se demandait peut-être si j'avais rangé ces foutus livres. Je l'entendis se racler la gorge puis lancer :

— Mère, permettez-moi de vous corriger. Il ne s'agit pas de Soan mais de Silvàn.

Madame Van Hooken parut intriguée. Elle s'excusa. Je souris vite fait, connaissant ce genre de femmes. Mon prénom lui importait peu, elle ne se donnerait pas la peine de me connaître davantage de toute manière. Du moment que je restais cloîtré au troisième étage, ça m'allait. La solitude ne m'effrayait pas. Être seul plutôt que mal accompagné serait mon nouvel adage.

Soudain, j'entendis une porte claquer et des voix masculines échangées de manière enjouée dans le hall d'entrée. Keyla se baissa vers moi.

— Détends-toi. Voici monsieur Van Hooken et son bras droit, Andrew.

En effet, deux hommes pénétrèrent dans la pièce. Ils portaient un costume puant le chic et arborait un air coincé du cul qui ne m'étonnait plus. Leurs regards se posèrent tout de suite sur moi mais je gardais la tête haute, tandis que la voix grave et surprise du patriarche s'éleva dans les airs.

— Bonjour tout le monde. Catherine, nous avons des invités ?

Ah, oui. La vielle mégère se nommait ainsi.

— En effet, Edmond, répondit-elle. Tu te souviens de notre amie Keyla, nous étions à l'université ensemble.

Monsieur Van Hooken lui sourit faiblement. Le temps sembla suspendu lorsqu'ils se regardèrent. Intéressant. Keyla, mal à l'aise, dégageait une confusion palpable, puis elle eut l'air de reprendre ses esprits et s'exclama :

Au-delà de ton silence Où les histoires vivent. Découvrez maintenant