La Demoiselle (5)

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Deux jours plus tard, la situation ne semblait pas avoir évolué, et Eliane commençait à devenir sincèrement nerveuse. Elle savait que, plus elle tarderait avec Tyrha, plus l'élimination d'Imogen, qui allait être spectaculaire, soulèverait les questions au sein de la Cour. La disparition de deux des trois Dames en lice pour le trône, qu'elle paraisse accidentelle ou non, ferait bruire la noblesse durant des jours et des jours.

À l'aube du troisième matin, elle se réveilla avec un atroce mal de tête. Le crâne bourdonnant, l'esprit embrouillé, incapable de faire plus de deux pas sans avoir le vertige, elle se décida bien vite à faire impasse sur sa descente traditionnelle aux cuisines. D'une voix que la fatigue et la douleur rendaient tremblante, elle dicta à Astryd une série de préparations alchimiques et de cataplasmes aux vertus apaisantes et, pendant que son amie les lui préparait, elle demeura roulée en boule dans ses couvertures, frissonnante et fiévreuse, luttant pour découvrir la cause de ces douleurs. Mais, à chaque fois qu'elle commençait à analyser sa situation, un cruel élancement lui vrillait le crâne, déliait ses pensées et effaçait le cheminement de son esprit. Sa matinée s'écoula dans une brume trouble aux allures de demi-sommeil, que même les puissants cataplasmes ne parvinrent à dissiper. Astryd, sincèrement inquiète, offrit à plusieurs reprises de faire appeler le médecin royal mais Eliane, peu désireuse de voir ensuite les trois quarts de la Cour faire le pied de grue devant sa porte pour s'enquérir de son état, refusa à chaque fois. Midi était passé depuis longtemps et elle n'avait toujours rien avalé, sachant pertinemment que son estomac le rendrait aussitôt. Elle demeurait aux prises avec ses réflexions, bataillait ardemment pour trouver la cause de son mal, sans succès.

Et puis, alors que le soleil infléchissait lentement sa course vers le sol, trois légers coups toqués à la porte de ses appartements la sortirent de sa léthargie. Elle se redressa sur un coude et, incapable d'élever sa voix cassée plus haut qu'un murmure, haussa les sourcils en direction de sa domestique, qui alla jeter un coup d'œil.

— Bonjour, lâcha une jeune femme depuis le couloir. Dame Eliane est-elle là ? Comment va-t-elle ?

La concernée ne parvint pas à réprimer un rictus narquois, se laissa retomber entre ses coussins, et fit un signe à Astryd, qui laissa la visiteuse entrer. Dissimulant les tremblements de ses mains sous la couverture, Eliane observa la démarche souple de Karashei, ses longs cheveux roux ramenés en une natte alambiquée posée sur son épaule, semblable à celle qu'elle avait portée à la soirée de la veille. Face au regard noisette interrogateur de la jeune fille, qui se mua bien vite en surprise, puis en inquiétude, elle souffla :

— Dame Karashei, bienvenue. Je m'excuse, je ne me sens pas très bien aujourd'hui.

Sa voix rauque se fêla lorsqu'une sourde douleur lui vrilla à nouveau le crâne, elle geignit, serra les poings. Préoccupée, Karashei s'approcha jusqu'au bord du lit, posa doucement une main sur le front d'Eliane.

— Elliott s'inquiétait, il ne vous avait pas vue ce matin, paraît-il.

Elliott, releva Eliane avec un sourire, amusée par l'emploi familier du prénom et la douceur du ton de la Demoiselle d'Eau.

— Vous êtes brûlante... Pouvez-vous m'apporter de l'eau ?

Astryd fila en direction de la salle d'eau, revint avec une coupe pleine. Karashei trempa ses doigts dedans, les passa sur le front de la malade, et murmura :

— Äfta drekin vihal mestrún.

Immédiatement, Eliane sentit la brûlure dans son crâne s'intensifier. Le souvenir douloureux des forges militaires d'Ombre, chaudes et bruyantes, surpeuplées de corps en sueur, s'imposa dans son esprit, elle poussa une plainte étouffée. Karashei s'immobilisa, tendue.

Dynasties / ElianeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant