La Favorite (4)

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— Alors ? s'enquit Astryd lorsqu'Eliane regagna finalement sa chambre, éreintée.

La Dame ramena ses cheveux sur le côté pour permettre à sa servante de défaire les lacets de sa robe, commença elle-même à détacher les rubans verts entrelacés à sa longue tresse, un sourire aux lèvres.

— C'était... comment dire... intéressant et enrichissant...

Elle devina les ricanements d'Astryd, un instant seulement avant que la porte de sa chambre ne vole presque hors de ses gonds avec un bruit terrifiant. La servante sursauta, poussa un petit cri de frayeur, s'écarta de sa maîtresse, qui pivota en maîtrisant de justesse son arcane, partagée entre peur et fureur. Son angoisse se dissipa néanmoins bien vite lorsqu'elle vit qui lui faisait face.

— Êtes-vous totalement folle ?

Laurus frémissait. Son teint était grisâtre, ses yeux étincelaient, ses doigts tremblotaient. Il paraissait au bord de la crise de nerfs. Face à sa terreur manifeste d'avoir failli perdre son royaume et sa tête juste à cause d'un caprice de la Dame d'Ombre, Eliane se calma quelque peu. Elle grimaça, lança un regard équivoque au garde posté devant sa porte, qui n'avait pas réussi à empêcher le roi d'entrer aussi brusquement. Il lui adressa une grimace d'excuse, referma le battant, tandis qu'Astryd revenait serrer à la hâte les lacets du corsage, coupant momentanément le souffle à Eliane.

Une fois à nouveau présentable, la Dame alla s'asseoir sur le petit canapé près de la fenêtre, sans chercher à dissimuler un soupir las. Astryd, elle, recula précautionneusement jusqu'à la cheminée, attrapa la bouilloire métallique qui reposait près de l'âtre, guettant le moment où le souverain serait lui aussi assis pour s'approcher à nouveau.

— Dites-moi, Altesse, qu'est-ce qui ne va pas ? s'enquit Eliane.

Soufflé par le calme qu'elle affectait, Laurus se posa dans le fauteuil qu'elle lui indiquait, prit quelques secondes pour se calmer et réfléchir. Et heureusement, car il réalisa bien vite que les iris azurins plantés dans les siens n'avaient rien de bienveillant, malgré les manières polies de la courtisane. Le constat refroidit quelque peu sa colère, il baissa les yeux en grommelant :

— C'était risqué. Et dangereux.

Elle ricana.

— C'était nécessaire pour ne pas attirer les soupçons. Deux Dames qui pouvaient prétendre au trône viennent d'être mises hors-course par un fâcheux concours de circonstances. Et vous remarquerez, Sire, qu'il n'y a toujours pas eu de bain de sang.

— Je commence à me demander s'il n'en vaudrait pas la peine...

Eliane esquissa un sourire vicieux, sa voix se chargea de fiel lorsqu'elle répondit :

— Uniquement si vous aviez une chance de vaincre.

Un frisson courut le long de son échine alors qu'Astryd s'approchait avec deux tasses fumantes, emplies d'un liquide rouge sang. Eliane prit la sienne sans aucune hésitation, souffla sur le liquide brûlant pour en chasser la vapeur et le refroidir, pouffa face au regard méfiant que Laurus portait sur la boisson.

— Vous savez, il n'y a aucune potion qui permette de forcer une transformation.

Le Roi poussa un grognement sceptique, ne consentit à boire que lorsque la maîtresse des lieux l'eut fait, elle aussi. Son expression s'adoucit un peu lorsqu'il goûta au thé, il ferma un instant les yeux, puis se décida à parler, un peu plus maître de lui-même.

— Je suis certain qu'il y avait de meilleures manières d'évincer Dame Imogen.

— Avec l'amour que le Prince lui portait ? releva Eliane, une pointe d'amer scepticisme obscurcissant son ton. D'autres manières, peut-être, mais de meilleures, je ne suis pas sûre. Croyez-moi, Altesse, pour le moment, je suis la seule à payer le prix fort. Les larmes de votre fils cesseront un jour de couler, mais les marques de sang sur ma conscience ne peuvent être effacées.

Dynasties / ElianeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant