La Demoiselle (2)

110 17 6
                                    

Le lendemain matin, Eliane se leva à l'aube, comme à son habitude. Ce fut Astryd, son unique femme de chambre et servante proche, qui l'aida à se vêtir d'une tunique de lin, simple mais confortable, et d'un pantalon lâche et à nouer ses longs cheveux blancs. Elles communiquèrent à peine durant ces quelques minutes qu'elles passèrent ensemble, et bien vite, la Dame s'esquiva par les corridors réservés aux servantes, droit en direction des cuisines.

À cette heure matinale, les portes dérobées claquaient régulièrement, les coursives sombres dissimulées entre deux murs prétendument épais étaient submergés d'une marée de serviteurs affairés mais silencieux. Pour la plupart, ils lui adressaient un hochement de tête familier mais respectueux puis passaient leur chemin. Eliane n'avait pas essayé de dissimuler son apparence ou ses déplacements, sachant pertinemment qu'un teint neigeux comme le sien était bien trop reconnaissable, qu'importait l'endroit où elle se trouvait. Au contraire, depuis qu'elle était arrivée au palais, elle profitait de cette notoriété pour se forger une réputation auprès du petit et du noble peuple, jouant sur les rumeurs en faisant mine de se cacher lorsqu'elle désirait réellement être vue.

Bientôt, les parfums capiteux des pains fraichement sortis du four vinrent chatouiller ses narines. Elle accéléra le pas, un sourire heureux aux lèvres, franchit la dernière porte d'une enjambée, et déboula dans les cuisines bondées au pas de charge. Esquivant de justesse une femme aux bras chargés de petites pâtisseries, elle s'excusa avec un léger rire, se faufila entre deux matrones qui discutaient allègrement, et se mêla avec un plaisir non dissimulé à la masse houleuse.

— Eliane, par ici !

Le cri retentit par-dessus le brouhaha, et pourtant, personne ne tourna la tête un instant. Cette discrétion bienvenue plaisait à la Dame d'Ombre, qui en aurait bien profité au quotidien, à la Cour, mais elle savait que c'était impossible. Ici aussi, les premières fois qu'elle était venue, les domestiques avaient gardé une certaine distance respectueuse, le temps de s'accoutumer à sa présence. En vérité, la seule chose qui lui avait permis de se faire accepter, c'était le fait qu'elle ne craigne pas de se salir les mains. C'était cela qui, à long terme, lui avait valu le soutien, l'amitié et l'admiration, de la plupart des serviteurs, puisque le mot s'était vite répandu dans les couloirs.

Bien sûr, certains Nobles à la cour n'avaient pas hésité à se moquer d'elle. Mais, à l'époque, on avait considéré cela comme la lubie passagère d'une gamine trop riche et désœuvrée, qui ne savait plus quoi faire de son temps libre. Et puis, à mesure que cela devenait chose courante, les Nobles avaient oublié, parce que plus personne ne prenait la peine de leur signaler que, chaque matin, Dame Eliane d'Ombre allait aux cuisines et se mêlait aux serviteurs pour faire cuire du pain.

— Elliott ! Comment vas-tu ?

— Pas plus mal qu'hier, sourit l'adolescent en lui adressant un sourire ravi. Viens donner un coup de main par là.

Eliane suivit le gamin vers un plan de travail situé près du feu, profita d'un lourd baquet d'eau qui passait à proximité pour tremper ses mains dedans, sans relever les regards légèrement scandalisés que les femmes lançaient à Elliott. L'une, en le voyant passer à côté d'elle, lui donna même une tape sur le sommet du crâne, poudrant ses cheveux noirs bouclés de flocons de farine, en marmonnant :

— On vouvoie Dame Eliane, sale petit garnement !

La concernée, tout comme le fauteur de troubles, se contentèrent d'un rire, et, dès que la femme tourna le dos, Eliane secoua ses mains pour envoyer une pluie de gouttelettes sur le dos de la matrone. Il y eut quelques rires de celles qui avaient levé les yeux au bon moment, mais bien vite, tout le monde se remit au travail.

Dynasties / ElianeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant