L'Exilée (2)

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Aidan et Jesten filèrent s'asseoir à leurs places, sous les regards rieurs des autres garçons. Les filles en revanche les considérèrent pour la plupart d'un œil critique ou désabusé. Elles qui avaient pour la plupart rêvé de ce monde de paillettes et de froufrous, elles s'étaient jetées à corps perdu dans ces leçons qui feraient d'elles de vraies dames de la Cour, et avaient du mal à tolérer les écarts de conduite. L'éducation stricte qu'Eliane leur prodiguait en était peut-être l'une des causes également.

La Reine suivit du doigt une volée de lignes, sourit, puis se lança dans le récit de la dernière bataille d'une voix douce. Précise sur les faits, la voix égale mais pas monotone, elle observa les élèves concentrés qui prenaient scrupuleusement en note le moindre de ses mots. Aidan tirait la langue, Jesten avait quasiment le nez collé à sa feuille. Mara, une brunette aux yeux d'eau et à la peau claire jetait frénétiquement des coups d'œil aux notes de sa voisine Isa, qui elle ne semblait pas avoir de mal à tenir le rythme.

À la fin de son récit vinrent les nombreuses questions, qu'elle laissa plutôt à Aren, spécialiste dans le domaine, et se contenta d'observer les élèves, nonchalamment appuyée contre l'une des tables. Ils étaient décidément loin des enfants sales et attristés qu'elle avait pour la plupart ramassés dans la rue. Ils avaient de la prestance, du charisme, une certaine distinction. Pour autant, ils n'étaient pas aussi rigides et parfaits que les enfants des Nobles. Ils se chamaillaient entre eux au moindre prétexte, les garçons – et Helena, une jeune fille – n'hésitaient pas à se donner des coups amicaux pour appuyer leurs arguments... au fond, ils rappelaient à Eliane les enfants d'Ombre qu'elle avait elle-même fréquentés plus jeune. Elle leur avait appris – ou du moins espérait leur avoir appris – à garder le meilleur des deux mondes.


Elle finit par quitter les cours quand une douce froideur commença à se diffuser dans sa manche longue. Elle prit congé dans les formes, analysant au passage les progrès en étiquette que faisaient les pupilles les plus jeunes, puis se réfugia dans la première pièce vide venue, qui était un petit salon de thé, et sortit d'une poche cousue dans la doublure de sa chemise une gemme transparente.

— Mattias, souffla-t-elle.

La voix du Général s'éleva, un écho ténu, mais audible.

— Je suis de retour, Ma Reine, annonça-t-il. Je suis dans une chambre vide des casernes, mes gardes vous indiqueront le chemin.

— J'arrive.

Elle rangea la pierre de communication, inspira profondément, puis s'élança dans les couloirs en traçant son chemin aussi directement que possible, sans pour autant paraître pressée pour ne pas soulever de rumeurs ou lancer les Courtisans à sa poursuite. Même s'ils savaient tous qu'elle haïssait être suivie, ils n'hésitaient jamais à le faire quand les enjeux étaient importants. Mais, pour une fois, ils semblèrent lui accorder la paix, absorbés dans des bavardages à voix basse auxquels elle n'accorda que peu d'intérêt. Une fois dans la grande cour, elle coupa à travers les jardins pour atteindre au plus vite les casernes principales, situées juste à côté des murailles du palais. Les gardes, qui étaient pour la plupart des hommes d'Ombre, la saluèrent en s'écartant de son passage aussi promptement que possible.

Quand elle déboula dans la pièce qu'on lui avait indiquée, gardée par deux piquets aussi rigides que muets, elle était à bout de souffle et de patience. Sa peur, qu'elle avait réussi à museler jusque là, venait de refaire surface, brûlante et destructrice. Et, quand elle ne vit rien d'autre que Mattias et un long coffre-lit, qui servait de couchette de voyage, son cœur tomba dans sa poitrine. Six heures s'étaient écoulées depuis le départ de Mattias. Elle avait assisté au cours d'escrime, puis était partie voir les plus jeunes pupilles, avant d'aller voir ceux qui avaient entre huit et dix hivers et de participer à leur cours d'alchimie. Les enfants avaient plus ou moins réussi à la distraire de ses angoisses, mais maintenant qu'elle faisait face au Général, elle le sentait. Il y avait quelque chose de vicié dans l'air, à peine distinct mais qui l'avait hantée toute la journée. Soudain, elle ne se faisait que peu d'illusions.

Dynasties / ElianeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant