La Souveraine (4)

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Karashei avait espéré s'éloigner de Gaxier en se repliant vers sa chambre. Cependant, le cousin du roi, obtus et obstiné, l'avait suivie dans les corridors sombres du château, entretenant une conversation obséquieuse et pourtant lourde de sous-entendus, à la limite de la décence. Bientôt, alors qu'elle approchait de sa suite et qu'il ne la lâchait toujours pas d'une semelle, la jeune femme se mit à craindre pour elle-même.

Et soudain, alors qu'elle était sur le point de passer le dernier angle et d'arriver, le monde bascula et son univers se réduisit à la terreur et l'incompréhension. La froideur du mur contre lequel elle était acculée, la dureté de la pointe de pierre qui s'enfonçait dans sa joue. Les mains moites qui couraient le long de sa robe, caressant ses courbes, les lèvres humides pressées contre son cou. Elle frémit, d'horreur et de dégout, voulut crier, mais sa voix s'étrangla dans sa gorge quand elle sentit le laçage dans son dos se relâcher brusquement. Les mains se glissèrent entre le tissu mou de la robe et les pans rigides du corset, effleurèrent un carré de peau. Elle poussa une plainte étouffée, eut un haut le cœur en entendant les halètements bestiaux, affamés, près de son oreille. Ses muscles étaient comme paralysés, la panique lui interdisait de bouger.


Et soudain, la prise du vieil homme sur la jeune femme s'évanouit. Karashei poussa un gémissement de terreur à l'état pur, encore plongée dans l'horreur, lorsqu'une main, ferme mais douce, glacée, s'empara de son poignet et la tira sur le côté. Elle suivit instinctivement le mouvement, sans même réaliser ce qui était en train de se passer.

Lorsqu'elle eut enfin le courage de rouvrir les yeux, elle était dans un autre secteur du palais, et la tresse blanche d'Eliane soubresautait au rythme de ses pas rapides tandis qu'elle entraînait son amie loin du cauchemar. Alors seulement, la jeune fille réalisa que rien ne s'était passé, et que rien ne se passerait, et tout d'un coup, sa terreur et ses angoisses se libérèrent en un flot dévastateur qui inonda ses joues. Elle se mit à sangloter en même temps qu'elle marchait, le cœur battant à tout rompre, le souffle court, incapable de s'arrêter. Quand Eliane la fit entrer dans une pièce vide et la força à s'asseoir sur une chaise, avant de s'accroupir à ses côtés, Karashei remonta ses genoux contre sa poitrine, hoquetant entre ses larmes, discernant à peine les objets qui l'entouraient dans les torrents de sel et d'iode. Ses mains tremblaient, réalisa-t-elle, sonnée.

Il lui fallut de longues minutes pour se calmer, mais enfin, ses pleurs se tarirent, ses sanglots s'espacèrent, et, même si la sourde terreur qui lui enserrait la poitrine demeura, elle recouvra une respiration régulière, un peu plus apaisée.

— C'est fini, lui souffla Eliane doucement en laçant son corsage et sa robe. Il ne te touchera plus jamais, je te le jure.

Karashei hoqueta, entre rire et larmes, mais se tendit comme un arc lorsque la porte s'ouvrit brusquement. Elle se décrispa quelque peu en voyant entrer Uriel, dont le beau visage était fermé par la colère. Ses yeux de glace étincelaient et, quand il s'approcha de la longue table près de laquelle s'était assise Karashei, elle vit qu'il se retenait tout juste de la frapper violemment de son poing.

— Cette infâme gargouille, cet enfant de...

— Uriel ! le coupa violemment Eliane.

Il se tut, mais la fureur qui l'habitait n'en sembla que croître.

— Par les arcanes toutes puissantes, Eliane, c'est un viol ! Mais pour peu, je croirais qu'il n'a jamais entendu ce terme de sa vie, il est capable de revenir en se pensant dans son bon droit ! Qu'est-ce que c'est que cette ville ?

L'interpellée se contenta d'un long soupir.

— Nous ne pouvons pas changer les mentalités de ceux qui sont déjà adultes et étroits d'esprit. Nous ne pouvons que composer avec ce que nous avons comme armes à disposition contre lui.

Dynasties / ElianeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant